Aller au contenu

La véritable musique underground

Rencontre avec les musiciens de la STM

Camille Chabrol

À la même période l’année dernière, Joshua Bell, violoniste de renommée internationale, menait une expérience inédite dans le métro de Washington. Muni de son Stradivarius Gibson estimé à quelques trois millions d’euros, il a joué six pièces de Bach pendant près d’une heure. Pendant ce laps de temps, une vingtaine de personnes lui ont lancé une pièce en passant leur chemin et seulement six se sont arrêtées pour l’écouter.

Intéressant, donc, de savoir qu’une minorité infime de personne s’intéressa au virtuose qui se produisait à Boston quelques jours auparavant pour une valeur de cent dollars la place en moyenne. Cette annecdote nous a fait réfléchir sur les priorités que nous nous donnons quotidiennement, le rapport que nous avons au temps et à l’art lorsque ceux-ci surviennent inopinément.

 

L’exception montréalaise

Le système du métro montréalais nous invite aussi à nous arrêter quelques minutes et apprécier la performance des musiciens locaux. Le Regroupement des Musiciens du Métro de Montréal (RMMM) a mis en place une organisation atypique qui vise à promouvoir la culture musicale à Montréal tout en accomplissant un devoir social. Selon les termes du Comité exécutif, « la mission du musicien du métro de Montréal est celle d’être un aide-mémoire, un déclencheur qui fait remonter en surface les émotions trop souvent refoulées par la routine du “métro, boulot, dodo”. La musique, par sa présence, stimule le non exprimé et nous ramène à la vie ».

Cela dit, les artistes sont confrontés à des règles très strictes qui illustrent bien la volonté du RMMM de mettre en place un réseau sérieux et ordonné. Les emplacements sont indiqués par une lyre blanche et chaque musicien doit réserver une plage horaire d’une ou deux heures selon la station pour pouvoir se produire. De plus, l’équipement ne peut dépasser une surface totale de deux fois 1,6 mètres tandis que le niveau sonore, la variété du répertoire ainsi que les interactions avec le public sont soumis à un règlement exigeant contribuant ainsi à l’aspect anodin du phénomène.

Cependant, c’est en contactant Alexis, membre du Comité exécutif, qu’on perçoit quelques failles. Le système s’organisant autour d’un respect et d’une confiance mutuelle entre le RMMM, les musiciens et les passants, il arrive d’assister à quelques dérives. En effet, Alexis nous fait part, dans une entrevue accordée au Délit, d’une histoire peu médiatisée, mais légèrement troublante, d’un musicien physiquement agressé par un homme ivre au début de l’année 2013 à la station Sauvé.

L’incident n’a pas eu de lourdes répercussions, mais porte à réflexion sur la sécurité d’un tel réseau et les dispositifs à mettre en place pour protéger les artistes dans ce genre de situation. Bien que l’événement soit mineur,  c’est le message du RMMM qui est bafoué.

Musiciens des souterrains

En entrevue avec Le Délit, on retrace le parcours de ces artistes du spectacle, heureux de pouvoir s’exprimer en public et venant de classes sociales plus variées que ce genre de représentations ne le laisse croire. C’est à la station-mère du projet, Berri-UQAM, que Le Délit a rencontré Poléoné vendredi. Cet accordéoniste de soixante et un ans décrit son aventure sur Terre comme celle de l’«Histoire du Cowboy de l’Ouest » et s’est constitué un répertoire qui tient la comparaison. C’est donc par des mélodies telles que « Non, rien de rien » d’Edith Piaf ou encore « Les Portes du pénitencier » de Johnny Hallyday et avec l’aide de son accordéon diatonique que l’artiste divertit les passants montréalais.

L’histoire personnelle de Poléoné ne laisse pas de marbre, car c’est suite à un accident grave que celui-ci a décidé de devenir accordéoniste. En effet, technicien pendant vingt-deux ans, son avenir s’est brusquement transformé lorsque les médecins lui ont annoncé qu’il avait perdu l’usage de ses jambes. Il récupère l’accordéon de son grand-père pour passer le temps et en fait finalement son occupation principale.

Après trois ans passés dans un fauteuil roulant, il réussit à faire quelques pas grâce à une détermination surhumaine et une aide médicale importante. Le RMMM porte une importance toute particulière à ce musicien, car l’opportunité de jouer lui  permet non seulement d’exercer sa passion librement mais aussi, tout simplement, de vivre.

Sachant qu’une heure d’accordéon lui rapporte en moyenne vingt-cinq dollars, Poléoné gagne suffisamment chaque jour pour vivre décemment. « Je serai éternellement reconnaissant du travail du RMMM pour permettre à des gens comme moi, sans famille proche et ayant peu d’amis, de partager leur passion, voir du monde et gagner quelques sous ».

Cela dit, les usagers de la STM ont droit à une grande diversité en ce qui concerne les styles de musique et les genres de musiciens qui se produisent dans les bouches de métro. À la station McGill, Le Délit a pu poser quelques questions à Laura, étudiante en histoire à l’Université Concordia, guitariste et chanteuse occasionnelle.

 

Le Délit : Si tu devais définir rapidement ton expérience en tant que musicienne du RMMM, que dirais-tu ?

Laura : J’ai commencé à jouer dans les métros de Montréal dès ma première année universitaire histoire de gagner un peu d’argent pour payer mes études et mes sorties. Au début, c’était un peu difficile de se mettre dans le bain, de voir que les gens n’apprécient par forcément mon travail et que la concurrence peut être assez rude. Mais petit à petit je me suis habituée au rythme et je prends beaucoup de plaisir à jouer maintenant et à me dire que certains jours, ça paye !

 

Le Délit : Es-tu globalement satisfaite de l’organisation du RMMM ? En quoi est-il différent des autres réseaux de musiciens dans les autres grandes métropoles ?

Laura : Je dois dire que la manière donc tout ça est agencé est pas mal du tout. Le système de plages horaires est très bien, car il permet aux musiciens de gérer leur temps facilement et de laisser une part du gâteau à tout le monde ! En plus, ça évite d’avoir des musiciens jouant côte à côte ou même d’avoir quelqu’un qui s’étale dans tout le couloir pour jouer de son instrument.

Vis-à-vis des autres villes, je ne pourrais pas vraiment vous dire, car je n’ai jamais joué ailleurs, mais je dois dire que l’organisation ici est très bien ficelée et que le règlement nous permet de jouer en toute tranquillité.

 

L’opération menée par le RMMM depuis maintenant quatre ans a donc de quoi faire réfléchir les élus d’autres grandes villes. En effet, la qualité de la musique, de l’organisation et la bonne entente entre les artistes et les passants ne peuvent être que bénéfiques.

D’une part, les musiciens ont la possibilité de jouer toute l’année, au chaud, sans se soucier de quoi que ce soit. D’autre part, les passants peuvent apprécier des airs de musique très variés et généralement de très bonne qualité gratuitement, même si un petit pourboire n’est évidemment pas de trop. Le RMMM a donc de beaux jours devant lui, pour le plus grand bonheur de tous.


Articles en lien