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L’étoiles des internautes

Jeux de maux

Avez-vous déjà vécu un de ces moments, où la vie monotone que vous menez conduit soudainement votre esprit loin du travail que vous faisiez, de la musique que vous écoutiez — un moment qui n’en finit pas, où tout vous semble être à portée de main. Peut-être est-ce un peu de Debussy, un Clair de lune, où les notes surprennent en longueur et en souplesse ; et soudainement, le téléphone sonne.

D’un coup, votre esprit est entrainé sur une autre onde, dans une autre histoire, souvent peu importante. C’est votre mère qui vous demande de passer prendre le thé et la madeleine. « Je n’ai pas le temps », vous lui répondez gentiment. « Pas le temps…» Mais où sont donc passés ces moments d’enfance,  où nous n’avions rien à faire et ne faisions rien et pourtant ce n’était pas du temps perdu ?

Aujourd’hui on nous presse constamment de servir à quelque chose, de grandir, de mûrir, et en même temps on nous assure que l’on vit au meilleur âge de notre vie.

« Je me tue à bosser aujourd’hui à mes 20 ans, pour être riche et en forme à mes 50 ans et dire à mes enfants à quel point ils ont de la chance d’avoir 20 ans », m’étais-je exclamé à la réunion de famille ce Noël.

« Oh, phrase de jeunesse », m’avait-on répondu.

Apparemment, j’avais tout simplement attrapé un genre de déficit mental, comme une maladie qu’il nous arrive d’attraper quand on est jeune, et qui nous quitte quand on mûrit. Parce que j’étais « jeune », j’avais posé une question sotte.

Serais-ce une folie de vouloir vivre sa vie coûte que coûte au meilleur âge pour le faire ? Avais-je tort ? Non, bien sûr que non, je n’ai jamais eu tort de ma vie. Sauf une fois où j’ai cru avoir tort, mais j’avais en fait  raison.

Ce mûrissement qui nous attend inévitablement est inquiétant, car je n’ai pas le temps de vivre ma jeunesse. Et tous ces problèmes d’occupation constante m’arrivent à cause de ce petit rectangle qui ne pèse pas plus qu’un paquet de cartes et qui vibre sur des vulgarisations de Beethoven quand quelqu’un veut de vous. On est sans cesse emmêlé dans la toile infinie du téléphone, d’Internet, de Facebook ou de Twitter, se faisant tirer de tous les côtés pendant que la toile s’étire. Pourquoi ne pas tout simplement éteindre ce monde de communications ?

Cela m’a pris longtemps, mais je tiens enfin une résolution de nouvel an. Les années précédentes, ma résolution du nouvel an était de trouver une résolution pour le prochain nouvel an. Mais cette année, je vous jure de passer deux heures par jour avec ce diabolique téléphone éteint. De passer deux heures à faire quelque chose, n’importe quoi mais de prendre un petit moment à perdre mon temps. Regarder par la fenêtre, lire un bouquin, écouter de la musique, aller me promener, m’asseoir sous un pommier — histoire de retourner sur terre pendant deux heures.

Je vais manifester pour le calme. Tous dans la rue pour un peu de silence ! À mort le portable ! J’en ai marre de Bell, de Rogers, de leur fichu monopole sur les téléphones qui ruinent notre vie, qui volent notre temps de tous les côtés. Je vais appuyer sur le petit œil rouge de mon téléphone. Je vais éteindre Internet et sa toile, pour pouvoir enfin regarder les étoiles.


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