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Piqûre de rappel

En 1985, Milan est arrêté par la police pour braquage. Outragé par ses conditions de détention, il se révolte, mais son cri ne dépasse pas les barreaux de sa cellule.

20 ans ferme est une collaboration de Sylvain Ricard (scénario) et Nicoby (dessin et couleur), avec les conseils de Milko, fondateur et président de Ban public, une association à but non lucratif qui cherche à « favoriser la communication sur les problématiques de l’incarcération et de la détention, et d’aider à la réinsertion des personnes détenues ». Dans cet album d’une centaine de pages publié par Futuropolis, Ricard a choisi de raconter l’emprisonnement de Milan, depuis son arrestation jusqu’à sa sortie de prison. La dénonciation d’un système imparfait dont on ne parle pas assez est fondée sur une histoire vraie, et ne prend pas l’allure d’un questionnement, mais presque d’une accusation.

Ricard affirme : « j’ai voulu proposer au lecteur une vision de ce qu’est réellement la prison française, dans toute sa violence et son absurdité, sans laisser trop de place au questionnement. C’est un plaidoyer, si on veut, contre ce système barbare et entretenu, qui va à l’encontre du bien commun ». En quelques mots, tout est dit. Ce récit pourrait être un acte politique de la part d’un artiste qui veut dénoncer une  « république autoritaire dont les chiens de garde, police et justice, ne respectent ni les lois ni les droits fondamentaux des individus ». Car, pour Ricard, « les prisonniers ne sont pas des “citoyens ordinaires”, mais des fauves qu’il convient de mater derrière les murs. C’est une façon absurde de traiter les problèmes, et qui a maintes fois prouvé son inaptitude à gérer la violence des individus ». (propos recueillis par Marie Gloris Bardiaux-Vaïente)

La dénonciation des conditions d’incarcération passe évidemment par le sujet et le texte, mais aussi par la disposition des cases. Nicoby crée des pages majoritairement découpées en trois cases sur trois strips, ce qui rappelle les barreaux d’une cellule et marque la similitude des journées d’un prisonnier. Le temps est rythmé par des bruits, des réfléxions, quelques contacts humains et finalement, le repli sur soi. Les couleurs servent abilement le propos : des teintes claires hors de la prison, des tons mornes en cellule et une atmosphère encore plus sombre dans le quartier disciplinaire.

La justesse de l’album réside dans le fait que son auteur ne remet pas en cause les peines, mais les conditions de détention de personnes qui restent, envers et contre tout, des êtres humains. C’est une piqûre de rappel pour tous : les droits d’un homme ne s’arrêtent pas derrière les barreaux qui enferment celui-ci. La vocation d’une prison est de protéger, mais aussi de réintégrer et non d’humilier ou de détruire. Pour Milan, s’il faut payer sa dette à la société, il ne faut pas oublier pour autant qu’un criminel reste un homme et qu’aucune administration, aucun gardien ne devrait pouvoir le rabaisser. Ainsi, c’est sa voix qui s’élève et qui reste ancrée dans nos mémoires, après la lecture de ce bouleversant témoignage : « Vous savez bien que derrière chaque personne qui entre ici, il y a une douleur, il y a un besoin, il y a un manque. Rien de tout ça n’est trivial. Nous y arrivons inachevés, en souffrance. Nous en ressortons détruits, déshumanisés. Pensez-vous que ces murs n’y sont pour rien ? Pensez-vous que vous n’avez aucune responsabilité à endosser ? »

Il y a toutefois un petit bémol à poser dans ce brillant album, un regret : l’auteur aurait pu profiter de ce média libre et créatif pour évoquer des solutions, même impossible à réaliser. S’il est hors de question d’imaginer qu’on puisse guérir ce mal en quelques cases, le jeu en aurait valu la chandelle : pointer l’indignité d’un système est essentiel, mais pourquoi ne pas montrer ce qui, concrètement, devrait changer, au-delà du système dans son ensemble ? Car on ne refait pas le monde en le changeant radicalement, mais en améliorant des petites choses qui, mises bout à bout, finissent par faire un meilleur tout. On se désole de découvrir un monde aussi brutal et inhumain, mais, optimistes que nous sommes et que nous devons rester, il aurait été bon de nous offrir une mince lueur d’espoir.


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