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Le référendum contesté

Début, suite et… pas encore la fin de l’odyssée

« Je me sens comme si ç’avait été une année complète de référendum », confie Caitlin Manicom, la responsable des levées des fonds et des finances de CKUT. La radio communautaire vient de sortir perdante de son deuxième référendum qui se terminait le 14 mars 2012. « Nous étions confiants que les gens comprendraient notre réalité, mais il semble que nous nous soyons trompés. »

Après une année académique 2011–2012 à lutter pour la survie de CKUT et GRIPQ, les bénévoles et les employés des organismes communautaires sur le campus de McGill sont à bout de souffle et inquiets : « Dans la situation actuelle, la station ne peut pas survivre », affirme Caitlin Manicom. Du côté du GRIPQ, le groupe de recherche d’intérêt public du Québec à McGill, l’avenir est aussi incertain : « Nous devons restructurer l’organisation si nous voulons subsister. Pour l’instant, tout le monde est complètement brulé », soupire Anna Malla, coordonnatrice interne de l’organisme.

L’histoire commence à l’automne 2011, lorsque le GRIPQ et la radio CKUT doivent passer à travers l’habituel référendum quinquennal de survie. La campagne, du 31 octobre au 10 novembre 2011 se déroule normalement. « Faire un référendum à l’automne est un défi puisqu’il faut atteindre le quorum, mais au moins les gens qui votent le font parce qu’ils se sont renseignés », commente la responsable des finances de CKUT.

Le 10 novembre, CKUT et GRIPQ étaient sauvés par une majorité de 72,3% et 65,6%, respectivement.

« Nous étions très confiants que le vote passerait puisque le comité du oui était très actif, et il n’y avait aucun comité du non. Même certains groupes réputés conservateurs nous soutenaient », relate Caitlin en faisant référence aux articles publiés dans le McGill Tribune et Le Prince Arthur Herald qui ne se positionnent pas en défaveur des deux organismes communautaires.

Pourtant, traitée de « floue » et d’«ambiguë », la question référendaire ne faisait pas l’unanimité, même avant le début de la campagne. Le professeur Morton J. Mendelson, vice-recteur principal adjoint de l’Université McGill, avouait qu’il avait tout de suite vu un problème potentiel dans la question, mais qu’il était trop tard pour l’annoncer. Le 4 novembre, Mendelson envoie une lettre aux deux organismes en disant qu’il n’aime pas la formulation de la question.

Le 22 décembre, McGill appelle à un deuxième référendum, car la question posée ne serait pas facilement compréhensible et contiendrait deux questions plutôt qu’une. Le problème ne réside toutefois pas dans l’ambiguïté de la phrase ou le nombre de demandes. Le réel enjeu : CKUT et GRIPQ veulent se débarrasser du système de désengagement en ligne des redevances étudiantes, ou l’online opt-out system et McGill s’y oppose.

CKUT et GRIPQ ont toujours eu besoin des redevances étudiantes pour survivre. Comme ce ne sont pas tous les étudiants de McGill qui peuvent ou veulent payer pour les services offerts par les deux organismes, le remboursement des frais d’adhésion à CKUT ou à GRIPQ pouvait se faire en personne aux locaux des organismes.

Depuis 2007, le système d’opt-out peut se faire en ligne en même temps que le paiement des frais de scolarité. Le système est tellement facile d’accès et efficace que CKUT a perdu 26 000 dollars lors de la dernière année, et 28 000 l’année d’avant.

« Ce que McGill ne comprend pas, c’est que garder le online opt-out system ne nous permet pas de survivre en tant qu’organismes communautaires ! » D’après Anna Malla, le système en ligne s’accorde bien à la propension centralisatrice de l’administration McGill : « La tendance actuelle est de contrôler les étudiants sur le campus et l’abandon des redevances à travers Minerva convient très bien à McGill ».

Le 14 décembre, un mois après la victoire des deux organisations, lors d’une rencontre réunissant Mendelson, CKUT et GRIPQ, McGill annonçait officiellement que les questions référendaires n’étaient pas reconnues. Les négociations commençaient. Pour les deux organismes communautaires, le refus de reconnaître le référendum allait avoir des répercussions monstres. L’Association des étudiants de l’université McGill a elle-même émis un communiqué pour demander à McGill de revenir sur sa décision, sans succès.

« Mendelson a clairement indiqué que McGill ne pouvait abandonner le online opt-out system. La question aurait été posée de n’importe quelle manière qu’il ne l’aurait pas acceptée », assure Caitlin. Pour Anna, le message de McGill était incohérent dans sa tentative d’expliquer la raison du refus de la question référendaire : « Ils ont commencé par dire que la question en comprenait deux, puis qu’elle en comprenait quatre, pour finir par dire qu’un référendum n’était en fait qu’un sondage d’opinions pour eux ».

GRIPQ, différent
Là où le Groupe de recherche diffère de la station de radio CKUT c’est dans son protocole d’accord (Memorandum of Agreement). Contrairement à CKUT et à la plupart des comités sur le campus, GRIPQ n’a pas l’obligation de tenir un référendum de survie tous les cinq ans. « Nous n’avons pas l’obligation de le faire, mais nous aimons savoir si nous sommes toujours autant pertinent aux étudiants », explique la coordonnatrice interne qui travaille depuis quelques années au sein du GRIPQ.

McGill s’est servi de cette particularité dans le protocole d’accord comme d’un levier dans les négociations avec GRIPQ. « Pour accepter notre première question uniquement dédiée à la survie, McGill demandait que nous ajoutions une nouvelle clause à notre protocole d’accord qui nous obligerait à un référendum quinquennal. » C’est pourquoi, explique Anna, ils n’ont pas été aussi rapides que CKUT à accepter la proposition de McGill qui était de reconnaître uniquement la première partie du référendum.
En janvier, des rumeurs commencent à circuler : une pétition serait déposée contre le GRIPQ pour s’assurer que le référendum ne passe pas. Le 6 février 2012, après des soupçons d’irrégularité qui demandent une suspension temporaire du Conseil judiciaire de l’université McGill, le tribunal mené par des étudiants en droit est donc appelé à trancher dans le cas Newburgh et Steven vs Tacoma.

Zachary Newburgh ancien président de l’AÉUM et instigateur du online opt-out system, ainsi que Brendan Steven, co-fondateur du journal conservateur The Prince Arthur Herald, s’attaquent à Rebecca Tacoma, dans son rôle de Chief Electoral Officer of SSMU Elections et à GRIPQ qu’ils accusent d’avoir mené un référendum inconstitutionnel.

Le procès est presqu’entièrement dirigé vers GRIPQ ; CKUT n’est mentionné qu’à quelques endroits. « Il reste plus difficile de viser un média, même si CKUT diffuse du matériel politique radical », justifie Caitlin.

« Le procès a été extrêmement stressant et bouleversant. Il est incroyable de constater que nos opposants avaient autant de temps, d’énergie et d’argent, toutes ces choses dont on manque. Il est incroyable que deux pétitionnaires et trois juges puissent arrêter des semaines de travail et plus de 5 245 votants lors du référendum », déplore Anna.

Ce qui est conclu lors du procès : la question référendaire n’était pas double. En demandant à la communauté « Do you support QPIRG continuing as a recognized student activity supported by a fee of $3.75 per semester for undergraduate students, which is not opt-outable on the Minerva online opt-out system but is instead fully refundable directly through QPIRG, with the understanding that a majority “no” vote will result in the termination of all undergraduate feel-levy funding to QPIRG ? », la question de désengagement de la redevance en ligne implique directement la survie des organismes communautaires. C’est ce que le Conseil judiciaire a évalué, tout en soulignant que l’électeur éclairé, moyen et raisonnable ne pouvait pas comprendre la subtilité. Le référendum est donc illégitime.

« Même si les conséquences allaient être négatives, la conclusion du J‑Board abondait en notre sens », tient à souligner Anna.

L’avenir, maintenant
CKUT obtient la reconnaissance de sa survie, mais devra se relancer dans une campagne pour ne plus être sous le joug de l’online opt-out system. Cette fois-ci, la question est totalement écrite par McGill.

Le 14 mars 2012, après une campagne extrêmement positive pour la station, CKUT perd son référendum. Caitlin Manicom tente de s’expliquer pourquoi : « Mendelson a dit qu’il n’était pas constitutionnel de présenter dans la question référendaire que, sans le opt-out en ligne, nous redonnerions l’argent en personne. » Les électeurs, en ne voyant pas d’alternative, ont voté « non ». « De plus, comme le référendum était en même temps que les élections de l’AÉUM, il est possible que les gens n’aient pas porté attention à la question », termine Caitlin.

À présent, la stratégie de celle qui tient les cordons de la bourse de la station de radio sera de mettre les bouchées doubles pour trouver des commanditaires mensuels. « Ce qu’il faudrait trouver c’est un donneur qui serait prêt à investir des millions. Mais ce genre d’idée fait partie des fantasmes qui ne se réaliseront pas ».

Anna Malla, coordonnatrice interne au GRIPQ, voit plutôt le deuxième référendum qui s’annonce avec l’assurance que son organisation gagnera son pari : « Cent personnes formeront le comité du « oui », et nous sommes déjà inondés de support ». La campagne se déroulera du 3 au 13 avril prochain.


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