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Chroniques de grève

Une semaine aux côtés des militants

Nicolas Quiazua | Le Délit

Mardi, 17 heures : Assemblée générale
La salle est pleine à craquer. Ça change des Assemblées générales de l’AÉUM où l’ambiance est plutôt inerte. Par contre, pas d’ordre du tout, le président de l’assemblée et les plus versés dans les Robert’s rule of order se relançaient la balle sur les questions de procédures quand pour ceux qui sont là pour la première fois ne comprennent rien à l’utilité de ce débat. Les motions reflètent tous les griefs qui pèsent sur le cœur et la conscience des plus militants et des plus sensibles. Tout le monde applaudit Micha Stettin, qui présente sa motion pour que l’AÉFA endosse le oui au référendum d’existence du GRIP-McGill et de CKUT. Elle passe. Matthew Crawford, sénateur de la Faculté des Arts à l’AÉUM proclame que « si nous ne votons pas pour cette motion, nous démontrons la banqueroute morale de notre communauté ». La motion pour mandater l’AÉFA à défendre les étudiants qui refusent de traverser les lignes de piquetage en échappant le plus possible à la note académique parfois salée, vient de passer. Faire du lobby pour la création d’un département d’études africaines, passe. Faire du lobby pour soutenir MUNACA dans ses demandes modestes, passe, à l’instar des quinze membres de l’exécutif qui ont voté contre lors du dernier Conseil. « Il est temps de laisser parler l’assemblée, dit Sheehan Moore, le rôle de l’AÉFA n’est pas d’apaiser ses étudiants ». Le quorum est compté –229– 79 de plus qu’il ne faut pour que la motion de grève puisse être en vigueur pour le lendemain. Elle passe, sans débat, ce que déploreront ses opposants et la présidente de l’AÉFA, Jade Calver, par la suite. On s’accorde pour dire que la grève est un moyen de mobilisation important au Québec et que les étudiants en Arts sont prêts à reprendre le chemin de 96 pour empêcher une privatisation grimpante de l’éducation au Québec. Tous se sentent concernés, même les étudiants internationaux et natifs des autres provinces du Canada qui ne sont pourtant pas certains de l’impact de la hausse sur leurs frais. Une annonce est faite que le comité de grève se rencontrera deux heures plus tard dans le salon de l’AÉFA.

20 heures : Réunion du comité de grève
Quelques têtes connues du mobsquad sont aux rendez-vous, soit une douzaine de personnes en tout, et aucun représentant de l’AÉFA ; l’annonce de la rencontre du comité s’est faite spontanément suite au vote favorable à la grève. Tous compensent avec une assurance feinte, mais nécessaire, le manque d’appui qu’ils ressentent de la part de leur association étudiante. Jade Calver enverra un jour plus tard, une annonce de grève par courriel et discutera avec les professeurs. Elle estime que « dire que l’AÉFA reste neutre dans cette affaire serait discréditer leurs efforts. » Le soutien financier demandé pour le matériel promotionnel de grève et de manifestation faite au VP finances de l’AÉFA n’a pas été accordé. Le conseil de l’association n’a pas discuté de politique de soutien pour le mouvement étudiant contre la hausse des frais en 2011.

Photo : Lindsay Cameron
Mercredi : Mobilisation de grève
Dix-huit professeurs ont signé la promesse d’academic amnesty pour les étudiants qui manqueront leurs classes le 10 novembre. Ceux qui étaient hier à la réunion du comité de grève trouvent que beaucoup de professeurs ont eu une réaction favorable mais beaucoup décident de faire tout de même du 10 novembre un jour comme un autre à l’université. Le doyen de la faculté, Chris Manfredi, a prévenu les professeurs qu’il s’attendait à ce que les classes soient tenues comme à l’habitude et qu’aucune academic amnesty ne serait offerte par le département en ce jour de grève. Paul Peters, professeur au département d’études allemandes, a noté le manque de sérieux visible par le ton que le doyen emploie dans son courriel. Il répond que « mettre entre guillemets [les étudiants, leurs activités et leur organisation] met en doute et ridiculise leur légitimité. » Jade Calver réitère dans son courriel que l’AÉFA doit défendre ses étudiants mais ne peut dire quels sont les recours précis dont l’association dispose pour cela. Elle refuse de commenter sur le sujet. Deux auxiliaires d’enseignement sont tenus de superviser un examen dans une classe de 200 personnes une heure avant que la manifestation commence le 10 novembre au Parc Émilie-Gamelin. Leur syndicat s’est positionné pour soutenir le mouvement étudiant contre la hausse des frais et participer à la manifestation, mais le professeur pour lequel ils travaillent a refusé d’annuler l’examen.

Photo : Lindsay Cameron
Jeudi : la manifestation
La pluie glaciale ne réussit pas à calmer les ardeurs. Le comité de mobilisation est à l’œuvre dès 7 heures 45 s’étant réapproprié les lignes de piquetage de MUNACA pour l’occasion. Ces petits gestes sont significatifs, les gens sont contents de voir les « anglos » à la manifestation. L’ampleur de la manifestation impressionne sûrement jusqu’au conducteur de l’hélicoptère de l’agence QMI qui survole les quelques 30 000 étudiants détrempés mais euphoriques. Jacques, le patron du Café Cherrier s’attendait à voir autant de gens. Bras croisés et sourire fendu jusqu’aux oreilles, il n’a qu’une chose à dire : « c’est beau ». Ginette, qui est tombée par hasard sur la foule, quand à elle se demande « si on est vraiment rendu là ! » L’Association étudiante de l’Université de Sherbrooke distribue les dossards à ceux qui se sont proposés pour assurer la sécurité. Le parcours de la manifestation a été préalablement donné au Service de police de la Ville de Montréal, et les étudiants se chargent eux-mêmes de garder les manifestants sur le droit chemin. Les cris des manifestants sont joyeux. Tous se sentent, en cette heure de gloire, libérés, un petit peu plus proche de leur idéal démocratique qu’au bureau de vote en mai. C’est l’effet manifestation. Une arrestation à la fin, d’un effronté qui a lancé un projectile de peinture sur l’uniforme bleu et noir. Au téléjournal de 17 heures à RDI, la SPVM dit être satisfaite du déroulement de la manifestation. Ils ont simplement envoyé quelques hommes sur le campus de McGill pour s’assurer qu’il n’y avait pas de casse.

Photo : Elisha Lerner
Jeudi, 3 heures 45 : Occupons McGill Jour J
L’occupation du cinquième étage du pavillon d’administration James avait été planifiée depuis plus de deux semaines. Un des occupants raconte que le simple fait d’entamer une discussion sur une possible occupation avait créé une division au sein du « MobSquad ». « Nous nous sommes mis à penser qu’il y aurait une opportunité lorsque la manifestation du 10 se terminerait au bureau du premier ministre, et que les gardiens de sécurité seraient tous au portail Roddick pour empêcher les étudiants d’entrer. » « Ça serait à ce moment là notre cue pour entrer ni vus ni connus par la porte Nord, et c’est ce que nous avons fait ». Les deux personnes les moins menaçantes du groupe, une femme et un queer sont désignés pour entrer les premiers. Les occupants connaissent des gens du mouvement étudiant de McGill et ont planifié avec eux une possible mobilisation des étudiants présents à la manifestation du 10 novembre vers l’intérieur du campus de McGill pour une action « quelconque ». Le plan d’occuper les bureaux de sa majesté Blum est gardé secret jusqu’à l’heure fatidique.

À l’intérieur, tout se bouscule, et les gardiens de sécurité n’y vont pas de main morte. Les messages textes répandent la nouvelle. Un des occupants contacte le bureau du journal étudiant : « vos camarades occupent le bâtiment ». Quel plaisir de pouvoir appeler du téléphone de Heather Munroe-Blum !

De plus en plus de manifestants s’amassent autour du bâtiment et, naturellement, une chaine humaine se forme, encerclant le bâtiment James, par solidarité et pour donner le plus de pouvoir possible aux étudiants qui sont au cinquième. Maintenant, tout le monde est au courant que ce qui se passe à l’intérieur est violent. La foule dehors fait alors face à la police anti-émeute. Anna essaie de rentrer avec Lena pour filmer ce qui se passe à l’intérieur, car leurs amis y sont, et elles veulent s’assurer qu’ils sont saufs. Refusé. La chaine humaine est séparée de force, les maillons déstabilisés par les jets de piment de Cayenne et les coups. Anna a voulu communiquer avec un des policiers. « Couverts de tout cet attirail, on peut voir leurs yeux, mais on ne peut pas vraiment les voir. Le fait qu’ils peuvent avoir une conversation normale est encore plus terrifiant que les armes qu’ils portent. » Elle voit de ses yeux l’humanité de ce policier, mais le moment d’après, il la frappe dans les côtes, lorsqu’elle a les bras en l’air. Elle lui explique qu’elle est là en paix, mais qu’elle ne bougera pas car elle en a le droit. Ce même policier lui dira en français, langue qu’elle ne comprend pas, « Bouge, ou je te fais mal. »

Les étudiants au cinquième sont venus sans demande, avec seulement l’intention de créer un espace fictif ou réel, pour une réelle conscientisation par l’action. « Nous voulons inspirer des copycats. » Les représailles brutales ont mis en perspective la relation entre l’administration et ses étudiants et entre cette même administration et l’État. Un effet inespéré, malheureusement.
Ils ont décidé les trois jours suivants de garder l’anonymat. Le 10 novembre, leurs visages étaient tous à découvert, sans masques du moins pour plusieurs minutes sauf une étudiante qui gardait son bandana car elle voulait se protéger. Les caméras des Iphones de l’administration étaient toutes allumées et ces vidéos n’ont toujours pas été rendues publiques.

Vendredi, 13 h30 : L’effort ne tarit pas
Les professeurs du groupe MFLAG sont outrés. Ils ont rédigé une lettre à la hâte le soir des événements, qui a fait le tour de leur liste de diffusion et de certains étudiants. À 13 heures 30, il est inacceptable que le groupe ne puisse entrer le bâtiment de leur administration, de leur université. Susan Aberman monte les enchères à un étudiant, puis deux. Les négociations spontanées sont chaotiques. Sa majesté refuse de descendre, mais elle daigne recevoir deux personnes dans son bureau. Adrienne Hurley et Amber Gross montent, après délibération. La lettre demande entre autres une enquête publique sur les événements du 10 novembre et la résignation des administrateurs qui ont approuvé la présence du SPVM sur le campus. Maggie Knight rencontre entre temps Morton Mendelson qui, dans la conversation, « insinue que l’AÉUM est responsable des actions des occupants du cinquième ».

Nicolas Quiazua | Le Délit
Lundi, 13 heures : Carré de la communauté
L’amphithéâtre de béton, que personne n’a jamais appelé par son nom est renommé le « Carré de la communauté », à l’instar de la proposition des occupants qui voulaient l’appeler le Carré du 10 novembre pour rappeler que leur prestation engagée s’inscrit dans le mouvement étudiant québécois contre la hausse. Tout le monde l’a déjà oublié. Il s’agit maintenant de dénoncer la brutalité policière et les griefs de tous, qui s’entrecoupent sous la bannière des occupants. Nous sommes exclus, parfois littéralement violemment, du processus décisionnel de notre université. Les 300 présents ont créé un espace dans le vacuum créé par l’occupation de McGill. La principale se promène, et ses administrateurs sont dispersés dans la foule tel des intrus dont on avait sommé la présence sans en espérer de résultat. Heather Munroe-Blum s’est présentée à la tente des discours, médias nationaux présents obligent. Elle n’a pas voulu attendre son tour. Plutôt, elle s’est assise au milieu des étudiants, tel une femme du peuple. Sheehan Moore fait la lecture d’un message du président de MUNACA, interdit du campus, « la principale devrait être tenue responsable ». Elle ne bronche pas. Il y a un moment de malaise, puis une ovation debout ; sa majesté reste assise. Autant le choc des pôles opposés était grossier et désagréable jeudi, le mélange des genres est constructif au carré de la communauté. Émile et d’autres se mobilisent déjà pour canaliser cette énergie. Ils se rencontreront mercredi au même endroit, pour se réapproprier cette fois une instance bien réelle, le Sénat.

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