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Langoustines et chaussons aux pommes en Terre de Baffin

La fascination pour le Nord est un trait saillant de la littérature québécoise.

Et celle pour l’univers des cartes et des explorateurs de l’Arctique transparaît ne serait-ce que dans quelques romans récents : Nikolski de Nicolas Dickner et Du bon usage des étoiles de Dominique Fortier. Mélanie Vincelette emprunte dans Polynie, son dernier roman paru aux éditions Robert Laffont, une voie semblable. Cap sur la Terre de Baffin.

Comme la route vers le grand Nord, l’entrée dans le roman est cahoteuse et pleine d’embûches –on bute au départ sur quelques maladresses de formulation et de style, mais quelque chose nous retient, nous séduit. Le roman est à la fois intrigue policière, histoire d’amour et récit d’exploration, mais aussi d’introspection, de la part du personnage principal, Ambroise, cuisinier à la mine, qui a perdu son frère Rosaire, et qui est amoureux de Marcelline, une glaciologue farouche et indépendante.

Chacun trouvera sans doute quelque chose pour lui plaire dans Polynie, que ce soient les considérations sociologiques ou politiques sur le Nord, l’intrigue policière, l’histoire d’amour… Pour ma part, ce qui me ravit, ce sont les menus détails, notamment dans la cuisine du personnage principal, qui l’accompagne dans son désœuvrement, et les nuances qu’elle permet d’ajouter au récit. 

Que ce soient les fins repas que le cuisinier parvient à préparer avec le peu de ressources dont il dispose, les vulgaires chaussons aux pommes industriels qu’il décongèle pour les travailleurs de la mine qui s’entêtent à ne manger que ça, les glaces aux mille parfums que prépare la froide glaciologue et qui enivrent ses papilles, et même, lorsque survient le sentiment de la vengeance, les centaines de recettes faites à partir de sang, la gastronomie occupe une place à la fois discrète et centrale pour qui veut prendre le temps de déguster ses descriptions. Elle représente sa part de chaleur dans le climat aride du Nord (une « polynie », une zone libre de glace…), sa part d’inventivité dans une région gouvernée par la tradition, sa part de légèreté dans la rudesse de la vie, là-bas.

Il y a une véritable poésie dans la manière dont Mélanie Vincelette décrit l’infiniment petit, l’infiniment superficiel, celui toutefois auquel on doit se raccrocher pour survivre face à l’infiniment grand et l’infiniment lourd. Pour ma part, c’est cette poésie particulière qui me retient dans l’univers qu’elle crée.

Ce que je retiens, enfin, dans ces grands espaces blancs, c’est l’huis clos. L’huis clos qui vous confronte aux autres et qui les rend insupportables. L’huis clos qui exacerbe tous les sentiments et rend fébriles toutes les relations. L’huis clos parfait pour une intrigue meurtrière où tout le monde est suspect. Certains ont dit et diront sans doute de Polynie qu’il s’agit d’une grande escapade exotique. Pour moi qui ai travaillé dans la cuisine d’un semblable huis clos, c’est au contraire un enfermement en fin de compte très réussi au cœur de nos tourments et de nos joies.


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