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On ne badine pas avec les trentenaires d’aujourd’hui

Soit un recueil de nouvelles collectif portant le titre suivant : Amour et libertinage, par les trentenaires d’aujourd’hui. Ma curiosité est piquée.

Pas vraiment parce qu’il s’agit d’un titre prometteur, mais plutôt parce qu’il suppose que les trentenaires d’aujourd’hui n’écrivent pas déjà suffisamment à ce sujet. J’en déduis donc qu’on a demandé à ceux-ci d’aborder l’éternelle question d’une manière nouvelle et originale. Que nenni. Du moins, cela ne semble pas être un prérequis pour participer au recueil paru cet été aux éditions Les 400 coups.

Certes, quelques perles sortent du lot ; celles, en l’occurrence, dans lesquelles les auteurs ont su s’écarter suffisamment du thème pour ne pas tomber dans le piège du prévisible. Les vies sexuelles de Joseph M., dont le narrateur voyage en 1962 pour draguer une sorte de Jocaste des années 60 en compagnie d’un certain Umberto, féru de scolastique médiévale ; La molécule animale, qui met en scène un professeur de biologie marine fasciné par la seiche géante d’Australie et ses mœurs dissolues ; La licorne en short shorts rouges parce que le ton de la narration est franchement très drôle, ce qui est à mes yeux une raison suffisante pour le lire.
Mais trop souvent, on retrouve avec une certaine lassitude le cynisme doux-amer dont se réclament tout en s’en moquant affectueusement ceux qui placent au centre de leurs préoccupations littéraires les relations érotico-amoureuses des jeunes québécois sur le Plateau Mont-Royal. Tous les éléments sont là : la recherche de l’homme idéal sur Facebook, ou au moins d’un gars « capable de comprendre une joke dans Urbania », des paroles de Leonard Cohen en exergue, et une langue parlée un peu pénible : « Ah come on, dit la grande blonde. On va pas tomber dans le cliché des trentenaires qui rushent dans leurs vies amoureuses, quand même ? » Eh oui.

On rétorquera sans doute que je ne suis pas une trentenaire d’aujourd’hui et que je ne m’intéresse au libertinage que s’il se déroule dans son lointain et poussiéreux XVIIIe siècle. Soit. Mais est-ce vraiment un critère pour apprécier une œuvre que de ressembler comme deux gouttes d’eau à ses personnages ? Je trouverais peut-être fort agréable de discuter sur le ton de ces nouvelles avec certains de leurs protagonistes devant une bière sur la rue Saint-Denis –après tout, ils ont souvent un humour désillusionné qui peut être sympathique– mais est-ce bien tout ce qu’on recherche dans un texte littéraire ?

Je n’ai pas de réponse à cette question. Beaucoup de gens cherchent à s’identifier entièrement aux personnages d’œuvres littéraires comme ils le feraient avec les personnages des séries télévisées, c’est-à-dire, la plupart du temps, dans un univers d’un réalisme total et d’une extrême contemporanéité, comme si l’écran était un miroir qui assurait une catharsis, non plus par la souffrance des autres, comme dans la tragédie grecque, mais par leur médiocrité.

Est-ce un problème ? Sans doute que non. Mais personnellement, ça me laisse sur ma soif. Et ça permet certainement de souligner une tendance, d’autant plus que des personnages types ressortent de manière flagrante du recueil, et que ces personnages sont à peu près tous vaguement déprimés, et surtout blasés.

Aux dernières nouvelles, le recueil sera transposé sur les planches, dans le cadre du Festival International de Littérature. Peut-être la scène donnera-t-elle un cachet renouvelé à ce projet ? Les nouvelles seront lues par les auteurs, qui rendront sans doute plus sympathiques leurs protagonistes en leur prêtant leur voix, puisque, sans costumes ni décors, comme l’annonce Pascale Montpetit, on aura sans doute l’impression de prendre un verre avec eux en discutant des peines d’amour du XXIe siècle.


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