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Impossible d’être tranquille

Quatre mois que le soleil se lève au tintamarre des gros engins, pelleteuses, bétonneuses, excavatrices. Quatre longs mois que les bandes réfléchissantes des cols bleus accueillent les premiers rayons de lumière.

(Vous sortez de chez vous, et vous croiriez surprendre un troupeau de chevreuils dans la pénombre, le derrière blanc dans les phares, la fougue en moins.) La vague néodémocrate de mai dernier à beau être en berne, Montréal l’été est toujours orange, orange fluo, orange cône, aussi sûr que la Grosse Pomme est jaune taxi.

Les trous sont bouchés maintenant, la peinture est fraîche, et l’île gagne une heure de sommeil, une heure de silence… jusqu’au ronron sourd de l’allumage de millions d’automobiles, qui embarqueront bientôt sur le bitume rafraîchi, les unes derrière les autres, une cohorte de fourmis sur les routes. Ouvrez la radio, à ct’heure qu’ils n’ont plus de chantiers à énumérer, il y aura bien de la musique ou un peu de rire. Pas même en rêve : c’est la rentrée politique ! Tous ces points de presse, ils valent bien le marteau-piqueur.

C’est l’heure de troquer les yeux plissés et la peau brunie des travailleurs en construction pour les airs cireux et la langue boisée des politiciens.

Le monde a sacré, juré, pesté tout l’été après ces réfections de voirie, mais il en reste un gros bout, ou plutôt des gros bouts, plus très soudés, prêts à tomber : le pont Champlain. Les cyclistes prennent leur élan et retiennent leur souffle avant d’entrer dans son ombre, et ce ne sont pas les échafaudages de protection qui les rassureront. Vos élus, eux, vous offrent… un parapluie, ou plutôt une « délégation parapluie ». Le Parti Québécois appelle à la réunion d’une coalition non partisane chargée d’agiter un peu plus fort le cochon tirelire du gouvernement fédéral –il est à eux le pont, après tout. Une coalition non partisane ! C’tu pas beau, ça, cette main tendue, cet esprit d’équipe ! Le PQ est déjà incapable de travailler avec lui-même, entre toutes ces démissions et ces dépassements par la droite, alors ça !

La politique, c’est le jeu du ballon-chasseur : chacun essaie d’envoyer la balle de la responsabilité pour qu’elle s’écrase langoureusement dans la face de l’adversaire. Et Pauline Marois qui s’aventure à vouloir prendre sa shot sur Stephen Harper, ça ressemble à un saut de ligue. Mais la chef est tannée d’être dans l’opposition juste pour s’opposer, tannée d’être sur le banc à regarder sa promotion de première ministre lui échapper d’entre les doigts.

Le temps manque avant les prochaines élections, il lui faut prendre sa chance et la jouer dur sur le terrain des winners : c’est un sport contact, le ballon-chasseur ! Alors si Jean Charest venait à l’empoigner bien comme il faut, cette main tendue, pariez que la game vaudra le détour, ça va jouer des hanches, ça va swinguer !

Certes, on les entend déjà, ces vuvuzelas de l’arène politique, ces diatribes soniques qui font saigner les oreilles après cinq minutes de jeu. L’excitation retombe, vivement la mi-temps hivernale, un peu de glace sur les bleus, et ce silence glacial. Qu’on se console, la délégation parapluie sera au moins là pour accueillir la dépression atmosphérique des premiers jours d’automne, celle qui refroidit l’air chaud et le pipeau, celle qui déteint les feuilles. Bientôt les arbres prendront feu, ce sera la saison des couleurs, et la colline sera rouge, brune, orange, orange fluo—la revoilà, cette image finalement chaleureuse de Montréal, et ce campus, un des plus beaux. D’ici là, vous délaisserez l’heure de sommeil supplémentaire pour une nuit d’étude, et n’aurez d’yeux que pour vos livres, pas pour les mots en l’air.


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