Cher papa,
Un jour, je me suis réveillé et j’ai senti le monde. Avant ça, j’existais dans un rêve qui s’était nourri du désir de partir, de fuir, d’échapper aux espoirs et aux aspirations qui n’étaient pas en moi-même. Je suis venu ici, ce fanal rougeoyant doucement du sud-ouest, pour devenir un homme, pour construire mes pensées et mes idéaux, pour me rendre capable de discuter et de me battre avec les plus grands. J’étais happé par le gris des pierres qui formaient les immeubles, le fer qui entourait les fenêtres et les étudiants qui remplissaient le Lower Field avec leurs rires continus –et elle, il y avait elle qui voyait tout en or.
Papa, c’était comme un rêve sans bornes –elle avait un rire qui transcendait les voix et les pensées qui remplissaient mon esprit ; elle m’a rendu silencieux. Elle et les autres étudiants parlaient une langue étrange, débordante d’histoires de leur week-end à Montréal. Je parle la langue de la terre et du sol, elle, celle des vins et des richesses insondables. Elle était la fenêtre par laquelle je pouvais voir la vérité d’être étudiant ici –en participant à la vie montréalaise. J’étais désespéré d’apprendre comment être comme eux.
Un samedi soir, comme si nous flottions, j’ai pris sa main et nous avons commencé notre voyage. Quand je les ai rejoints, elle et ses amis, les rues avaient changé d’apparence. Avant ça, j’étais intéressé par les nuances physiques de la rue, mais il me semblait que mes nouveaux amis étaient aveugles. Leurs yeux n’étaient pas en train de marcher ; c’était un voyage motivé seulement par leurs désirs. Nous sommes arrivés au restaurant « Pied de Cochon » et j’étais aveuglé moi-même par les prix du menu. Un gars a commandé un repas à soixante dollars sans y penser, et à ce moment-là, je me suis rendu compte que ma fille extraordinaire et ses amis avaient une autre perspective, différente de la mienne.
Ma belle fille montréalaise a renversé sa tête en arrière, puis m’a dit avec un rire ruisselant des choses inaccessibles. Ses amis sont aussitôt tombés du piédestal sur lesquels je les avais mis. J’avais le cœur brisé, l’estomac vide et les yeux crevés par la vérité des amis de la fille qui m’avait trompé.
Cher papa, je n’appartiens pas à cet endroit. Est-ce que tu sais ce qui me manque le plus à la ferme ? C’est notre champ de blé, simplement. Les brins dorés ondulant dans la brise, captant le soleil à la fin du jour. Les gens d’ici, ils voient la vie en or aussi, mais de l’or de l’argent. Ils ne connaissent pas la vérité qui existe dans la terre dorée, mais je la vois et je veux l’avoir encore une fois.
Martin
Sophie Silkes, Pablo Pizarro Janczur et Dan Garmon