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La science derrière le drame

Compte-rendu de la conférence organisée le 18 mars par des professeurs en génie nucléaire à l’École Polytechnique en réponse à l’accident survenu à la centrale nucléaire de Fukushima lors du séisme au Japon.

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Le 11 mars, le Japon était ébranlé par un puissant séisme de magnitude 8,8 qui, en plus de faire tanguer les immeubles de Tokyo sur plus d’un mètre, a provoqué par la suite un tsunami particulièrement ravageur sur la côte nord-est du pays. Ce dernier fit déferler des vagues hautes de dix mètres emportant tout sur leur passage. Malgré un dispositif de sécurité qui fut déclenché automatiquement, le Japon, l’un des pays les mieux préparés face aux tremblements de terre, s’est laissé surprendre. En plus des pertes humaines et des destructions matérielles dues au séisme, un drame supplémentaire a frappé le Japon ; la centrale nucléaire de Fukushima avait été atteinte et endommagée par le tsunami.

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Physique nucléaire 101
La nature d’un atome est déterminée essentiellement par le nombre de protons qui le composent. Lorsque celui-ci est instable, le noyau libère de l’énergie, ainsi que des particules sous forme de radiations, afin d’atteindre un état plus stable. Il s’agit de la radioactivité. Lors d’une réaction de fission nucléaire, telle qu’il y en a dans les centrales, un noyau lourd est modifié dans son état quantique, ou plus exactement, il est brisé en plusieurs morceaux, ce qui libère de l’énergie. Dans le cœur d’un réacteur nucléaire, la réaction en chaîne est contrôlée par un bombardement continu de neutrons. Les barres d’uranium enrichi baignent dans une piscine où circule de l’eau sous pression qui, au contact du combustible, se vaporise et est envoyée vers des turbines pour produire de l’électricité, avant d’être refroidie et renvoyée dans le cœur du réacteur. Le débit d’eau contrôle la température globale et donc la puissance du réacteur. En cas de séisme, un Système d’Arrêt d’Urgence (SAU) hydraulique se déclenche, bloquant le flux de neutrons et empêchant ainsi toute réaction nucléaire.

Fukushima, les faits
La centrale de Fukushima possède six réacteurs, dont trois seulement étaient en activité lors de l’incident. Le quatrième, étant en entretien, étaient donc vidé de combustible. Les deux derniers étaient à l’arrêt depuis trois mois, car ils devaient prochainement être vidé du combustible. Lors des premières secousses du séisme, les réacteurs se sont automatiquement arrêtés selon la procédure d’urgence, et quelques secondes après, il n’y avait plus aucune réaction nucléaire en cours. Si le complexe est resté intact, le système d’alimentation électrique, quant à lui, a été entièrement détruit, privant ainsi la centrale d’électricité. À ce moment, les génératrices de secours au mazout ont pris le relais comme la procédure le prévoit, et tout était pour le mieux. Les choses se sont  compliquées lorsque le tsunami est arrivé, une heure après, balayant tout sur son passage, noyant l’ensemble des génératrices et emportant le tout dans son élan. Un deuxième système de secours s’est déclenché : un groupe électrogène permettant de maintenir la centrale fonctionnelle, mais n’ayant qu’une autonomie de huit heures et n’étant pas assez puissant pour activer les pompes du système de refroidissement. En raison des importants dommages causés par le tsunami aux infrastructures routières, la centrale était isolée, et au bout de huit heures, les secours n’avaient pu atteindre la centrale pour rétablir le courant. La génératrice s’est éteinte, la centrale a cessé de fonctionner, et le cœur du réacteur s’est échauffé.

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Le danger nucléaire
Lors d’une réaction nucléaire, les atomes lourds sont brisés pour libérer de l’énergie. Ce procédé a pour conséquence de laisser des atomes résiduels radioactifs instables qui se désintègrent plus ou moins rapidement. Il s’agit de la puissance résiduelle. Celle-ci continue, même après l’arrêt du réacteur, à être libérée sous forme de chaleur et de radiations. Les noyaux ayant la demi-vie la plus longue finissent par s’accumuler. Si l’on regarde le rapport de puissance résiduelle par rapport à celle du réacteur en fonction du temps, on observe que celui-ci s’élève à 6,5% au début –soit 65W d’énergie résiduelle produite pour 1000W par le réacteur– et diminue de manière exponentielle jusqu’à être presque nulle après une dizaine de jours. Ceci n’exclut pas de retirer l’énergie qui s’accumule, car si l’on ne refroidit pas, la chaleur augmente de manière critique. En effet, avec l’élévation de la température, l’eau bout et s’évapore de la piscine, exposant le combustible à l’air libre, ce qui le fait chauffer à vif et peut abîmer la gaine en zirconium (Zr) qui l’entoure. À 537°C, le Zr se brise. Aux environs de 982°C, une réaction exothermique à lieu entre le Zr, l’oxygène et l’hydrogène –c’est ce qui a entraîné des explosions à Fukushima. L’énergie de Zr-vapeur domine l’énergie résiduelle à 1371°C, et le Zr se combine à l’uranium pour former un eutectique ; puis à 1950°C, le tout fond comme une bougie et se dépose au fond de la cuve en se désintégrant, ce qui peut avoir de terribles conséquences. Les produits radioactifs, sous forme de magma appelé Corium, peuvent alors percer la cuve et se retrouver dans l’enceinte de confinement. Si tel devait être le cas, le risque de rejet massif de produits radioactifs dans l’environnement devient possible. L’inquiétude actuelle vient du fait qu’il est impossible de mesurer avec précision la température effective, et la seule chose à faire pour les Japonais est de refroidir à tout prix le cœur du réacteur, tout en le maintenant isolé, afin d’éviter les émanations radioactives.


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