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Oublier de se souvenir

Portrait d’une époque empreinte de reconnaissance envers la Couronne britannique.

Gracieuseté de Wikipedia

Je me souviens que né sous le lys, je crois sous la rose, dixit Eugène-Étienne Taché. Les trois premiers mots nous sont familiers, à tel point qu’ils sont même visibles sur les plaques d’immatriculation automobiles. Cependant, la population ne se souvient pas de la signification de la devise du Québec. Comme si elle référait davantage à une amnésie historique ou à une ignorance provoquée : Je me souviens, oui, mais de quoi ? Jacques Rouillard, dans son essai L’énigme de la devise du Québec : à quel souvenir fait-elle référence, décrit de manière juste l’origine et la signification de la devise québécoise.

Gracieuseté de Wikipedia
A priori, la devise du Québec provient de l’architecte du Parlement de Québec Eugène-Étienne Taché. Cet homme de la bourgeoisie canadienne-française de la ville de Québec a ajouté cette phrase aux armoiries de la province le 9 février 1883 lors de la signature du contrat de construction du Parlement. Cependant, il n’a laissé aucun indice qui expliquerait le sens de la devise. Trois éléments d’interprétations permettent toutefois de comprendre le sens de la devise, et ceux-ci se trouvent au sein du Parlement de Québec lui-même.

Les armoiries du Québec constituent un élément important pour la signification de la devise. En effet, l’écu représente trois fleurs de lis pour symboliser la Nouvelle-France, un léopard pour la Couronne britannique et un rameau de trois feuilles d’érable pour le Canada. Enchâssant ces armoiries, le Je me souviens rappelle les origines françaises du Québec, les liens maintenus avec la Grande-Bretagne et l’appartenance au Canada.

La façade du Parlement, quant à elle, rend hommage aux grands personnages du Québec. De plus, compte tenu de son aspect central pour la vie démocratique de la province, l’édifice devient « un monument consacré à l’histoire », soit d’autant plus un véhicule de la « quête identitaire » de la nation, selon Jacques Rouillard. À cela s’ajoutent les statues des gouverneurs anglais « les plus sympathiques à notre nationalité », comme Murray, Dorchester, Prévost, Bagot et Lord Elgin. Fait intéressant, les statues de La Fontaine et de Baldwin furent installée avant celles de Jacques Cartier et de Samuel de Champlain, car pour la bourgeoisie canadienne-française, l’avènement du gouvernement responsable sous l’entente La Fontaine-Baldwin signifiait « la conquête des libertés démocratiques et elle [assurait] l’avenir du peuple canadien-français, puisque les députés qu’ils [élisaient étaient] garants de la protection des droits des francophones ».

Malgré quelques références à la culture française, l’ornementation générale, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur, met davantage en valeur les institutions britanniques. On tenait en haute estime les institutions britanniques, parce qu’elles avaient permis « l’acquisition du système démocratique de gouvernement et une autonomie politique pour le Québec ». De plus, lors des célébrations du 300e anniversaire de la fondation de la ville de Québec en 1908, Eugène Étienne Taché était responsable du dessin d’une médaille pour commémorer l’événement. Or, au revers de cette médaille, se trouve l’inscription : « Deux aidant, l’œuvre de Champlain née sous les lis a grandi sous les roses» ; faisant référence à l’épanouissement des Canadiens-Français sous l’autorité britannique.

La Révolution tranquille a provoqué un brassage mémoriel qui fait en sorte que la signification de la devise élaborée par Eugène Étienne Taché s’est perdue. Notre devise reflète les idéaux de la classe politique de son temps. «[L]a mémoire des Québécois d’aujourd’hui représente un passé recomposé par le présent, fait d’oublis et d’une sélection d’événements », comme le dit si bien Jacques Rouillard. En somme, la devise du Québec réfère à un héritage triple pour la compréhension duquel le Parlement est la clef.

Moi, Je me souviens que la France ait donné le premier des biens, l’existence, mais que c’est  à l’Angleterre que nous devons le second, la liberté, dixit Sir Wilfred Laurier.


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