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Le cinéma de demain récompensé à la Berlinale

Retour sur les oeuvres et les artistes récompensés par la Berlinale.

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Le triomphe d’A. Farhadi

Gracieuseté de la Berlinale
L’Ours d’or pour le meilleur film a été remis sans grande surprise, mais avec beaucoup de joie, à Nader and Simin, A Separation de Asghar Farhadi. L’équipe a d’ailleurs remporté d’autres prix : l’Ours d’argent pour la meilleure actrice et l’Ours d’argent pour le meilleur acteur ont tous les deux été décernés à l’ensemble des acteurs du film. Leila Hatami, Sarina Farhadi, Peyman Moadi, Sareh Bayat et Shahab Hossein ont donc reçu une récompense qui salue un véritable travail d’équipe. En effet, cette remise des prix à un collectif plutôt qu’à un(e) meilleur(e) acteur(-trice) permet de repenser, pour une fois, le travail des comédiens non plus comme des talents individuels mais bien comme une collaboration, un soutien entre les acteurs. De plus, ces deux prix permettent de rappeler l’importance de l’étape souvent oubliée qu’est l’audition. C’est donc un véritable triomphe qui attendait Farhadi à Berlin, ce réalisateur talentueux qui pourrait bien devenir un habitué des festivals, après avoir remporté l’Ours d’argent du meilleur réalisateur en 2009 pour A propos d’Elly
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Le cheval de l’ennui

Béla Tarr est connu pour sa maîtrise cinématographique et sa technique impeccable. Son film A torinói ló (The Turin Horse), qui met en scène la ritualité jusqu’à l’épuisement, est l’histoire d’un père, Ohlsdorfer (Janos Derzsi), de sa fille (Erika Bok) et de leur cheval, tous les trois isolés dans une plaine où les vents soufflent avec violence. La vie oppressante des personnages, symbolisée par ce vent, est mise en scène dans une réalisation sobre et pour le moins intrigante. Si la lenteur extrême du film et sa répétitivité servent efficacement le propos du réalisateur, il n’en reste pas moins que le film en découragera plus d’un. Adressé à un public très réduit, The Turin Horse a néanmoins reçu le Grand Prix du Jury, sans discours de réception du prix par Béla Tarr.

Cette récompense n’est pas très étonnante, au vu de la carrière du réalisateur. Toutefois, elle pose la question de l’après festival, c’est-à-dire de la réception du film par un public non constitué de journalistes cinéphiles de la première heure. Difficile d’imaginer la distribution qu’obtiendra ce film qui ne prétend pas à un quelconque succès tant son propos, comme sa réalisation le destinent à un public d’intellectuels qui ne font que penser le cinéma, et non le penser et le ressentir comme une source de réflexion et de loisir. The Turin Horse est –tout comme Saranghanda, Saranghaji Anneunda (Come rain, come shine) de Yoon-ki Lee, également présenté en compétition– une œuvre annoncée par le réalisateur comme étant faite pour un certain public et non pour le grand public. Ces deux films, dont l’action, les dialogues, les émotions des personnages et le récit sont minimalistes, laisseront donc perplexes quelques spectateurs.

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L’Histoire au programme

Le prix Alfred Bauer, en mémoire du fondateur du festival pour une œuvre particulièrement novatrice, a été décerné à Andres Veiel pour Wer wenn nicht wir (If Not Us, Who), le récit des premiers mouvements d’extrême gauche dans l’Allemagne des années 1970, mouvements guidés par Gudrun Ensslin et Andreas Baader, qui se sont par la suite radicalisés.

L’histoire, qui débute en 1960 avec Bernward Vesper, fils de l’écrivain poète fidèle d’Hitler Will Vesper, s’attarde sur l’histoire d’amour peu conventionnelle et pour le moins tourmentée de ce personnage avec Gudrun Ensslin, future co-fondatrice de la RAF (Fraction armée rouge) avec Andreas Baader. Andres Veiel a choisi de montrer des étudiants qui se rebellent contre l’ordre établi, se révoltant contre toute forme d’establishment, les empêchant de changer une société contre laquelle ces enfants du nazisme ne peuvent que s’élever. Très détaillé, le film ne s’attarde pas sur le terrorisme, les attentats de la « Bande à Baader » des banques et des grands magasins, mais aborde plutôt la mise en place de ces réseaux de résistance, de ces mouvements qui ont donné lieu aux excès de violence tristement connus. Sans jugement, il évoque l’enthousiasme et la passion de ceux qui voulaient faire changer la société allemande de l’après-guerre.

Gracieuseté de la Berlinale

Un film historique que l’on peut rapprocher de Mein bester Feind (Mon meilleur ennemi), film hors compétition de Wolfgang Murnberger, et de V Subbotu (Innocent Saturday) d’Alexander Mindadze, pour leurs explorations de l’Histoire, dans le but de comprendre le passé mais aussi le présent, et peut-être l’avenir. Mein bester Feind, plein d’humour, présente un personnage juif victorieux et héroïque qui, pendant la Seconde Guerre Mondiale, prend l’uniforme SS de son ancien meilleur ami et se fait passer pour lui. V Subbotu retrace, quant à lui, l’histoire d’un ouvrier de la centrale nucléaire Lénine en Ukraine pendant les quelques heures qui ont suivi la catastrophe de Tchernobyl, le plus grave accident nucléaire répertorié de nos jours.

Tout comme Wer wenn nicht wir, ces films abordent de manière originale des événements historiques d’une grande importance. Pourtant, au-delà de toute considération artistique, ces films manquent d’une actualité à l’image de Margin Call. On aimerait en effet parfois s’interroger sur le présent à travers l’actualité et non par le biais d’événements que l’on connaît déjà, non seulement par la presse, mais aussi par la littérature, le théâtre, le cinéma, etc.

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Les autres récompensés

L’Ours d’argent du meilleur réalisateur a été décerné à Ulrich Kölher pour Schlafkrankheit (Sleeping Sickness), un prix mérité qui, on l’espère, fera paraître ce film sur les écrans du monde entier, et non uniquement en Allemagne.

El Primo (The Prize) a, quant à lui, été récompensé par l’Ours d’argent pour une performance artistique exceptionnelle, dans les catégories caméra (Wojciech Staron) et production design (Barbara Enriquez), ex æquo.

Joshua Marston et Andamion Murataj n’ont pas été oubliés : The Forgiveness Of Blood a reçu l’Ours d’argent du meilleur scénario pour un film retraçant l’histoire d’une vendetta en Albanie. Ce film, servi par des comédiens pour la plupart non professionnels, était un véritable plaisir pour les yeux et l’esprit.

Une fois de plus, la Berlinale a récompensé des talents prometteurs. Contrairement à la cérémonie des Césars, qui sont le plus souvent décernés à des acteurs et à des réalisateurs confirmés, la Berlinale se veut en effet un festival à la recherche des équipes cinématographiques de demain, ceux dont les plus grands chefs‑d’œuvre sont encore certainement à venir.


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