Depuis maintenant quelques jours, les pronostiques vont bon train dans les rues de Berlin pour savoir qui recevra des récompenses lors de la remise des prix le 19 février prochain. Alors que certains films se démarquent par leur excellence, d’autres laissent au contraire une amère déception auprès des spectateurs.
Jodaeiye Nader az Simin / Nader and Simin, A Separation, réalisé par Asghar Farhadi, s’annonce être le plus grand concurrent de Margin Call pour l’Ours d’Or, et on se prendrait presque à regretter que Les femmes du sixième étage ne fasse pas partie de la sélection officielle tant on se régale de l’humour de Philippe LeGuay. Certaines réalisations pourtant très attendues, telles que Corilianus de Ralph Fiennes et The Future, de Miranda July ne remplissent par contre pas les attentes du public, peut-être devenu trop exigeant après le chef d’œuvre de Farhadi.
Un candidat prometteur à l’Ours d’Or de la Berlinale
Jodaeiye Nader az Simin / Nader and Simin, A Separation est sans conteste le meilleur film projeté depuis le début de la Berlinale 2011. Ce drame familial est interprété par une pléiade de comédiens hors pairs ‑dont la majorité était présent lors de la conférence de presse qui a fait suite au film.
L’histoire débute avec Simin (la magnifique Leila Hatami) qui tente de divorcer de son mari Nader (l’excellent Peyman Moadi). Simin ne veut pas réellement quitter son mari mais souhaite garantir un avenir à Termeh, sa fille de onze ans (Sarina Farhadi), un avenir qui ne lui semble pas possible en Iran. Nader refuse de quitter le pays car il veut s’occuper de son père, atteint de la maladie d’Alzeimer. Le couple est dans une impasse que rien ne semble pouvoir régler. Et la situation est loin de s’améliorer quand Nader pousse Razieh, sa nouvelle femme de ménage interprétée par Sareh Bayat, dans les escaliers après que celle-ci se soit mal occupée de son père. Suite à cette chute malencontreuse, Razieh perd l’enfant qu’elle portait. S’en suit un procès où chacun tente de se justifier comme il peut et se dévoilent ainsi des natures pour le moins différentes et radicales.
De nombreuses choses sont en jeu dans ce film, et c’est leur exploration délicate mais profonde qui fait la force du récit. Les personnages de Simin, portée vers l’avenir par sa relation avec sa fille, et de Nader, lié plutôt au passé et à la vieille génération par le biais de la figure de son père, engendrent un questionnement subtil sur la tradition et la modernité, tandis que leur relation à Razieh et son mari évoquent les différences sociales et religieuses présentes en Iran. Le film prend toutefois rapidement une dimension universelle car Asghar Farhadi introduit une réflexion sur la moralité des personnages, pas toujours évidente, la subjectivité constante de la vérité ainsi que sur la responsabilité de chacun.
Une dernière richesse du film : sa fin, ouverte, qui pose plus de questions qu’elle n’y répond, permet au spectateur, comme le suggère Farhadi, « d’emmener chez lui les questions suscitées par le film. » Une fin que le public berlinois de la première a su apprécier et saluer d’un tonnerre d’applaudissement émouvant. Ce récit humain est un bijou du cinéma, un film comme on aimerait en voir plus souvent sur nos écrans. A ne rater sous aucun prétexte.
Fabrice Luchini à la rencontre d’espagnoles dans Les femmes du sixième étage
Hors compétition, le dernier film de Philippe Le Guay, rempli de bons sentiments, constitue un moment de plaisir simple mais garanti. Touchant et généreux, le réalisateur évite les clichés lorsqu’il provoque la rencontre inopportune, à Paris dans les années 1960, de Jean-Louis Joubert (interprété par Fabrice Luchini), un bourgeois enfermé dans une vie tranquille mais sans passion, avec les femmes de ménage espagnoles habitent au sixième étage de son immeuble. Sans que son épouse (Sandrine Kimberlain, qui excelle dans ce rôle de la bourgeoise de province) ne soupçonne rien, Jean-Louis va découvrir un milieu coloré et passionné et tomber amoureux de ces femmes pleines de vie. Avec Teresa, Carmen, Dolorès et surtout la jeune et belle Maria, la vie de Jean-Louis va incroyablement changer.
Loin d’être un chef d’œuvre du cinéma français, ce film est pourtant une belle petite réussite, grâce à un humour ne manque pas de fonctionner, des comédiennes hors pairs et une dynamique positive rafraîchissante, surtout à l’heure actuelle où un brin d’humour et de relâchement ne fait que nous permettre de repartir le sourire aux lèvres dans nos quotidiens un peu gris du mois de février.
Les vers de Shakespeare accordés à la violence de nos sociétés
Ralph Fiennes fait ses débuts derrière la caméra avec un texte qu’il a joué au théâtre il y a quelques années : Coriolanus de Wiliam Shakespeare. L’acteur britannique a choisi une mise en scène contemporaine pour ce premier récit : « En voyant à la télévision des images de guerre en Tchétchénie ou en Irak et d’émeutes urbaines, j’ai été de plus en plus convaincu que mon décor était autour de nous ». Fiennes relève ainsi la capacité toujours actuelle de l’auteur britannique à questionner ses lecteurs : « Shakespeare pose des questions qui incitent à réfléchir. A la fin, nous échouons toujours à trouver des solutions pour échapper aux conflits permanents. »
La pièce raconte l’ascension de Caius Martius, un général romain (interprété par Fiennes) méprisant le peuple, dont la gloire ne durera que le temps de laisser place à la déchéance et au bannissement. Forcé de quitter Rome, il s’allie à son pire ennemi, Tullus Aufidius (Gerard Butler, qu’on avait vu dans 300 et PS : I love you) pour se venger. Entre les deux héros puissants et virils, les affrontements sont nombreux, voire trop, et les corps-à-corps définitivement sanglants. Pour Fiennes, ces combats devaient contenir l’érotisme présent dans la pièce de Shakespeare, ce qui est d’ailleurs l’une des réussites du film : « Coriolan avait besoin d’un adversaire costaud, physique et le contact entre les deux devait traduire un certain érotisme. »
Alors que cette guerre moderne a été tournée en Serbie, Fiennes a choisi de conserver la langue d’origine, d’ailleurs « famillière » à Vanessa Redgrave qui interprète avec son habituel talent la mère de Martius. Attention donc aux non habitués des dialogues Shakespeariens qui pourraient bien regretter de ne pas avoir de sous-titres pour comprendre toute la beauté et la subtilité des dialogues.
Ce qu’on remet en question, dans ce film, malgré la qualité indéniable de sa réalisation et de ses comédiens, c’est sa pertinence. On assiste en effet à une œuvre, certes de qualité, mais qui n’apporte pas grand-chose au public, et semble ainsi tenir plus du film d’action que du chef d’œuvre qu’un tel projet aurait pu donner. Un film qui plaira définitivement à certains publics, mais ne manquera pas d’en laisser d’autres sur leur faim.
L’amour selon Miranda July
The Future était l’un des films attendus de la Berlinale, tant pour son scénario original que pour ses acteurs et la réputation de sa réalisatrice, Miranda July. Pourtant, cette histoire d’un couple qui vit avec une étrange et surréelle passion décalée ses derniers trente jours de liberté avant d’adopter un chat malade laisse pour le moins perplexe. Jason (Hamish Linklater) et Sophie (Miranda July) vivent dans un petit appartement et travaillent sans grand amour pour leurs emplois respectifs. Ayant décidés d’adopter un chat malade qui aura besoin de soins constants, les amants comprennent leur terreur à l’idée de sacrifier leur liberté. Ils se mettent donc d’accord pour profiter de ce dernier mois, ce qui commence par l’abandon de leurs emplois, et explorent chacun de leur côté leur nouvelle vie : alors que Jason fait confiance au destin, Sophie panique, paralysée, et finit par trouver un amant dans la banlieue.
Ce qui aurait pu nous emmener dans une sphère riche en émotions semble au contraire, malgré les richesses du scénario, nous laisser dans une froideur certaine. En effet, est-ce le jeu des acteurs, pourtant bons, les dialogues, pourtant souvent drôles et intelligents, ou les images elles-mêmes, qui crée un constant éloignement entre le spectateur et les personnages ? Difficile de mettre la faute sur l’un des aspects du film, tant il semble que ce soit simplement le tout qui ne fonctionne pas. On peut malgré tout souligner l’originalité du traitement de la thématique de l’amour et la séparation, symbolisé par les réflexions du chat lui-même, enfermé dans sa cage et attendant d’être enfin adopté ainsi que la qualité esthétique des images (le directeur de la photographie est Nikolai Von Graevenitz).