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Pour saluer Jutra

Jusqu’au 2 février à la Cinémathèque québécoise, une rétrospective bien ficelée pour redécouvrir l’œuvre du réalisateur du meilleur film de tous les temps… rien de moins. 

Quel cinéphile pourrait oublier la remarquable scène de la veille de Noël dans Mon oncle Antoine ? Le jeune Benoît et son oncle, emmitouflés dans leurs fourrures, traversent la campagne blanche avec une sinistre cargaison dans leur traîneau : le cadavre d’un adolescent, dont le cercueil finira par choir dans la neige, confrontant Benoît à l’impuissance de son oncle et à la dure réalité de la mort.

Gracieuseté Cinémathèque québécoise
Vingt-cinq ans après la disparition de Claude Jutra et quarante ans après la sortie du poignant récit d’apprentissage qu’est Mon oncle Antoine, la Cinémathèque québécoise accorde au cinéaste une rétrospective sans précédent. Pendant quelques semaines seulement reviennent sur grand écran les œuvres qui ont fait sa renommée, comme Kamouraska, une adaptation du roman d’Anne Hébert, et bien sûr Mon oncle Antoine, fréquemment cité comme le meilleur film canadien de tous les temps.

L’intérêt de la rétrospective réside cependant ailleurs. Nombre d’œuvres méconnues et même inédites figurent à la programmation, dont le tout premier film tourné par Claude Jutra, alors adolescent, Le Dément du lac Jean-Jeunes, et son film le plus marginal et esthétisant, Mouvement perpétuel.

La sélection opérée par la Cinémathèque québécoise insiste ainsi sur le caractère neuf et même révolutionnaire de l’œuvre du réalisateur, qui a contribué à l’avènement du cinéma direct au Québec à la fin des années cinquante, après avoir brièvement côtoyé François Truffaut et Jean Rouch. Initié par ceux-ci à un nouveau rapport au réel, Claude Jutra fera équipe avec Michel Brault pour la réalisation d’une série de documentaires où les images franches font l’économie de tout commentaire.

On pense entre autres à La Lutte, de 1961, ou à Québec‑U.S.A. ou l’Invasion pacifique, de 1962 ; à partir de deux sujets bien différents, soit les populaires combats de lutte au Forum et le débarquement massif d’étudiants américains dans la Vieille capitale, le cinéaste accomplit une pénétrante étude de mœurs et offre un regard oblique, parfois même ironique, sur la réalité de la société québécoise.

Gracieuseté Cinémathèque québécoise

C’est ce questionnement identitaire, cette tendance à ébranler les institutions et les opinions d’un Québec selon lui trop immobile, qui fait de Claude Jutra un cinéaste toujours actuel et rend le détour par la Cinémathèque québécoise indispensable. Le mouvement qui l’animait se fait plus fortement sentir dans son premier long-métrage, À tout prendre, sorti en 1963, que le programmateur de la rétrospective décrit comme un « acte fondamental de la Révolution tranquille », multipliant les sujets tabous dans une histoire de liaisons amoureuses qui n’est pas sans rappeler le Jules et Jim de Truffaut.

Il est à noter que les prochaines semaines seront aussi consacrées à la « période canadienne » du réalisateur, qui est parti en Ontario réaliser pour la télévision et le cinéma anglophone après avoir essuyé quelques revers dans un Québec où ses films, peut-être arrivés trop tôt, demeuraient souvent incompris. On présente entre autres Dreamspeaker, le 19 janvier, un film portant sur la rencontre d’un enfant farouche et d’un vieil Indien dans la forêt de Vancouver.

Afin de terminer rondement ce cycle, la Cinémathèque a invité le 2 février prochain le monteur Werner Nold, qui parlera de son travail sur deux films de Claude Jutra, Rouli-Roulant et Comment savoir. En somme, cette rétrospective est une occasion de découvrir les multiples facettes d’un cinéaste qui a fait bien plus que laisser son nom aux Prix Jutra.


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