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Le Déserteur, de Jason Kenney

Bien que le Canada ait refusé de participer à la guerre en Irak, il contribue aujourd’hui indirectement à l’effort militaire américain en refusant d’accepter les demandes d’asile des déserteurs américains. Un bulletin opérationnel (B.O.) commandé par le ministre de la citoyenneté, de l’immigration et du multiculturalisme, Jason Kenney en juillet dernier, vise précisément ce groupe de « criminels ». Le demi million de témoignages révélateurs des atrocités de la guerre en Irak, lâché dans le cyberespace par le site Wikileaks a donné un souffle de vie à la Campagne d’appui aux « résistants à la guerre en Irak », ces soldats qui refusent de combattre.  Selon un sondage Angus Reid de 2008, l’opinion publique à travers toutes les provinces et les couleurs partisanes, supporte aussi cette cause. Et curieusement, les Conservateurs ont essayé de détourner l’attention de cette politique controversée en annonçant, quatre heures après l’exposition des documents officiels par Wikileaks, que le Canada aiderait 8600 réfugiés irakiens de plus à se réinstaller. Michelle Robidoux, porte-parole de la Campagne d’appui aux résistants de guerre, dénonce l’ironie de ces mesures.

Le Délit : Comment l’initiative a‑t-elle été lancée ?

Michelle Robidoux : La campagne de soutien aux soldats qui refusent la guerre a commencé en 2004, quand le premier soldat américain qui a décidé de ne pas combattre en Irak est venu demander asile au Canada. Depuis lors, nous sommes venus en aide à près de cinquante militaires.

LD : Les choses étaient-elles différentes en 2004 ?

MR : Oui, dans le sens où c’était encore tout nouveau. En 2004, il n’y avait qu’une poignée de soldats refusant la guerre qui venaient ici : Jeremy Hinzman et quelques uns de ses compatriotes, puis bien d’autres encore les ont rejoints. C’était à la fois dû au déroulement de la guerre et à la prise de conscience des Américains que le Canada acceptait traditionnellement les objecteurs de conscience. Mais depuis, les Conservateurs ont été élus et ils sont farouchement opposés à ce que les soldats refusant la guerre puissent rester. Sous le gouvernement libéral, on avait du mal à savoir de quoi il retournerait. On a commencé à faire du lobbying auprès des Libéraux en 2004–2005. C’est un long processus, mais alors que celui-ci commençait à porter ses fruits, les Conservateurs avaient gagné les élections. Depuis lors, ils ont fait entendre très clairement leur opposition aux soldats refusant la guerre. Ils sont allés jusqu’à intervenir assez directement dans le processus de demande d’aide humanitaire, qui devrait pourtant être impartial.

LD : Le taux d’acceptation des demandes d’asile était-il supérieur avant la publication du Bulletin Opérationnel ?

MR : Cela a été un combat dès le début. Jeremy Hinzman a été le premier à venir ; il a fait une demande pour le statut de réfugié, avant d’être débouté. Il a fait appel auprès de la Cour fédérale et a porté l’affaire jusque devant la Cour suprême. Quand celle-ci a refusé de d’y donner suite, la campagne politique a pris le relais. Ils ont dû faire face à plusieurs difficultés, notamment l’interdiction qui leur a été faite de parler de la guerre en Irak pendant les auditions. On le leur avait clairement signifié dès les premières procédures, ce qui a beaucoup compliqué notre travail. Quelques semaines avant la publication du BO, la Cour d’appel fédérale avait arrêté que lorsqu’un soldat américain refusant la guerre faisait une demande d’assistance humanitaire et compassionnelle, l’agent d’immigration canadien devait prendre en considération son opinion sincère sur la guerre en Irak, ce qui n’avait pas été le cas pour Jeremy Hinzman. La Cour a jugé à l’unanimité qu’il devrait être autorisé à faire une nouvelle demande. Nous pensons que c’est une décision majeure.

LD : Quelle est la procédure habituelle pour le traitement des demandes d’asile des soldats refusant la guerre ?

MR : Chaque procédure devrait être examinée individuellement sur la base de son mérite propre. Auparavant, il n’avait jamais été question de mettre à part ces militaires sur la seule base de leur crime de désertion. Pourtant M. Kenney a déclaré que la désertion était un crime aux États-Unis et que donc ces gens étaient des criminels [au Canada]. On remarquera combien ce B.O. devient ironique à l’heure où plus de 400 000 documents de guerre classés top secrets ont été publiés sur Wikileaks, détaillant très clairement que la façon dont la guerre est menée, viole toutes les lois internationales imaginables, la convention de Genève, que sais-je encore. Pour la plupart des personnes de bon sens, il y a quelque chose de fondamentalement répréhensible dans le fait de traiter ainsi des gens qui ont déjà beaucoup risqué, il y a quelque chose de répréhensible dans la politique du gouvernement canadien.

LD : Qu’est ce qui vous fait penser qu’il y a un lien entre l’affaire Wikileaks et l’annonce par le ministre Kenney que le Canada allait étendre les mesures d’aide aux réfugiés irakiens ? Est-ce une coïncidence de calendrier ou est-ce parce que ça entrait en conflit avec la politique d’immigration et d’accueil des réfugiés menée par le gouvernement Conservateur depuis deux ans ?

MR : Si tous les militaires avaient fait la même chose que ces soldats qui refusent la guerre, il n’y aurait eut aucun réfugié Irakien à accueillir. Ces soldats ont dit qu’ils refusaient de participer à une entreprise qui avait jeté 2 millions de personnes sur les routes. Comment pouvez-vous vous dire sincère quand d’un côté vous accueillez des réfugiés irakiens et que de l’autre vous dites aux soldats qui refusent de participer à cette guerre qu’ils sont des criminels. Il y a dans cette position une malhonnêteté morale que je trouve profondément choquante.

Traduit de l’anglais par Anthony Lecossois


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