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L’exploitation de la peur des boat people

La déclaration du ministre fédéral de la sécurité publique, Vic Toews, a classé la question des réfugiés tamouls dans le dossier de sécurité nationale. Deux femmes tamoules commentent.

Depuis deux semaines, presque 500 étrangers ou non-citoyens canadiens sont détenus dans des prisons canadiennes en attente que leur identité soit vérifiée par les autorités nationales. La semaine dernière, QPIRG (Quebec Public Interest Research Group), un collectif militant entre McGill et Concordia, ainsi que plusieurs autres organismes comme No One Is Illegal et le People’s Commission Network organisaient une manifestation visant à « les laisser rester ». La détention des femmes, dont deux sont enceintes, et des enfants est controversée ; mais de façon générale beaucoup de canadiens soutiennent la décision du gouvernement et l’enquête entamée par la GRC.

Juste avant l’arrivée du MV Sun Sea à la base navale d’Esquimalt en Colombie Britannique, Vic Toews a fait une déclaration qui suggère que l’enjeu s’étend au delà des normes internationales sur les demandeurs d’asiles et des lois canadiennes sur l’immigration. Comme les ressources naturelles en Arctique, le Canada fait de l’immigration une problématique stratégique qui a pris sa place dans le dossier de sécurité nationale. 

L’animation médiatique et citoyenne autour de cette question est un phénomène post-11 septembre, comme le souligne Swati Parashar, professeur à l’Université de Limerick en Irlande et auteure de l’article « The Boatophobia debate : deshumanizing asylum seekers and refugees ». Selon elle, à l’ère de la lutte anti-terroriste, « la sécurité nationale est devenue une excuse pour ne plus tenir compte des droits humains et pour passer au peigne fin la vie privée des gens ». De plus, la référence du ministre de la sécurité publique au groupe terroriste des tigres tamouls (LTTE) et au trafic humain « montre une grave incompréhension du conflit au Sri Lanka » et « découle de la propagande du gouvernement à Colombo qui cible directement les tamouls en les associant aux tigres ». Pour elle, « la position du gouvernement sri lankais favorise le resserrement des politiques canadiennes d’immigration ».

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés recommande qu’«avec l’amélioration de la situation depuis la fin du conflit au Sri Lanka en mai 2009, les demandes d’asile de ce pays [soient] considérées sur une base individuelle ».

Pourtant, le Conseil Canadien pour les réfugiés a reconnu dans une déclaration datant du 17 août 2010, que « si la situation au Sri Lanka s’est améliorée en terme de sécurité depuis la fin du conflit armé, d’importantes violations des droits humains persistent néanmoins ». En raison de son adhésion à la Convention internationale relative au statut des réfugiés, le Canada se doit de reconnaître le statut de réfugié à toute personne « qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Ramani Balendra, du Centre communautaire des femmes Sud-Asiatiques à Montréal, note que « dans le cas échéant où le gouvernement reconnaît le statut de réfugiés, il ne peut permettre leur détention prolongée. Il existe des moyens de contrôler ces gens le temps que leurs papiers soient en règle », tout comme il existe une procédure légale prévue pour l’identification des individus qui ont commis de graves violations des droits humains ou qui représentent un risque pour la sécurité du Canada.

Madame Balendra déplore notamment le caractère racial du débat, qu’elle croit « amplifié par les médias », et tout comme les organismes ayant endossé l’événement du 26 août dernier, demande « la cessation de tous commentaires raciaux de la part des membres du gouvernement, ainsi que le respect des lois et normes internationales sur le statut et le traitement des réfugiés ».

Quelque soit l’issue de ce débat, la position prise et les événements mêmes soulignent la pertinence des répercutions de « l’exploitation de la peur » sur les politiques d’immigrations à travers le monde. La critique ne se porte pas seulement sur le gouvernement canadien. Elle cible également « les analystes sud-asiatiques qui sont eux aussi motivés par des sentiments raciaux anti-tamouls », comme le souligne le professeur, ainsi que la montée de ces sentiments dans l’esprit des citoyens. 


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