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On n’est jamais mieux servi que par soi-même

Pornographie Do-it-yourself

L’industrie

La nouvelle est passée totalement inaperçue ici : le plus vieux sex-shop du monde, la boutique Blue Movie, qui a pignon sur rue à Copenhague depuis 1964, s’apprête à fermer ses portes le 31 mars prochain. Signe qu’avec Internet, les temps changent dans le monde de la pornographie ? Oui et non. L’essor de l’Internet n’a pas été instantanément catastrophique au niveau financier pour les commerçants et les artisans traditionnels de la pornographie. Du moins pour ceux qui ont su s’adapter, c’est-à-dire qui ont su offrir à l’amateur de pornographie ce qu’il désire, quand il le désire. C’est d’abord et avant tout ces exigences que l’Internet a transformées. De la même manière que notre façon de regarder la télévision est actuellement en pleine métamorphose, Internet a révolutionné la relation que les gens ont avec la pornographie en leur donnant plus de pouvoir.

Mais n’allez pas croire que cela veut dire que le milieu de la pornographie commerciale soit foncièrement plus innovateur que celui de la télévision. Comme le dit Simon Louis Lajeunesse, professeur associé en travail social à l’Université de Montréal, « la porno est une industrie très conservatrice, elle ne montre que ce que les gens veulent voir. Elle n’innove pas. » Comment expliquer ce côté avant-gardiste alors ? C’est simple : puisque certaines personnes n’arrivaient pas à trouver ce qu’ils cherchaient parmi ce que proposait l’industrie, ils ont commencé à produire leur propre porno et à la partager via Internet. « Les gens surfent l’Internet pour voir les fantasmes qu’ils ont déjà dans la tête. Le phénomène va donc des gens vers la porno et non de la porno vers les gens » explique Monsieur Lajeunesse.

Au-delà du simple partage de contenus érotiques entre internautes, cet état des choses a surtout permis à plusieurs non-initiés d’ouvrir leurs propres sites afin de répondre aux désirs spécifiques de certains et, bien évidemment, pour en tirer un profit financier dans la plupart des cas. Globalement, la multiplication de ce genre de sites a rendu le monde de la porno commerciale très fractionné. Concrètement, cela s’est initialement traduit par l’émergence de sites amateurs mais payants comme Realcouples​.co​.uk, Bangbros​.com (où l’action se passe toujours sur la banquette arrière d’une voiture) et Brunob​.com (le premier vrai site québécois de porno amateur). Le succès de cette première vague de porno amateur fut tel qu’une école virtuelle a ouvert ses portes en 2001 avec le but de « diplômer » de futurs webmestres de sites pornos. Basée en Australie, la Adult Webmaster School dit « enseigner à ses étudiants à profiter de la très lucrative industrie adulte en ligne ». Alors, même si le contenu et l’esprit de ces sites amateurs différent de ceux de l’industrie, le but, lui, reste le même.

En fait, ce n’est qu’avec l’apparition récente de sites d’hébergement de vidéos que la porno amateur s’est véritablement démocratisée et que la pornographie Do It Yourself tel qu’on la connaît maintenant a vu le jour. Fonctionnant sur le même modèle que YouTube, des sites comme Qrtube​.com (spécialisé en porno queer), Mybeasttube​.com (spécialisé en porno… animale) et les géants Xtube​.com, Youporn​.com et Redtube​.com assurent à tout internaute la possibilité de visionner et de partager des vidéos DIY sans payer.

Quand ça vient vite, ça part vite…

En 2004, une vidéo diffusée sur Internet a transformé la vision que les gens avaient de ce médium en démontrant toute la portée qu’il pouvait avoir. Il s’agit du fameux sextape de Paris Hilton, le quatrième clip le plus vu de toute l’histoire du web. Depuis, et avec la parution de 1 Night in Paris, une foule de célébrités (Fred Durst, Kid Rock, Lindsay Lohan, Colin Farrell), de semi-célébrités (l’acteur de Grey’s Anatomy Eric Dane, l’ex-participante de Survivor Jenna Lewis) et même de politiciens (John Edwards, ancien candidat à l’investiture démocrate pour la dernière élection présidentielle) ont emboîté le pas et sont apparus, ou ont fait l’objet de rumeurs selon lesquelles ils étaient apparus dans des sextapes diffusés sur le web. Même si la plupart de ces personnalités ont vu leur vie intime être rendues publiques à leur insu ; certaines l’ont fait de manière intentionnelle, sachant que la vidéo ferait parler d’eux. C’est le cas de Jessica Sierra, une ancienne participante de American Idol qui, en manque de visibilité, a sorti son propre sextape en janvier 2008.

Pour certains, toute la récente ferveur autour de la porno DIY est directement liée à la popularité de ces sextapes. C’est le cas de l’écrivain et chroniqueur canadien Stephen Marche. Dans une chronique intitulée What’s with All the Ugly People Having Sex ? parue dans Esquire, Marche explique que la porno DIY n’est rien d’autre qu’un moyen contemporain de ressembler aux vedettes que l’on voit dans les sextapes. « La porno amateur, c’est de la célébrité Do-It-Yourself[…], c’est ce qui permet le plus aux citoyens de se sentir comme étant de vraies vedettes ». « Pour le prix de votre corps et de votre dignité, vous avez la joie de devenir l’image de laquelle les autres ne peuvent détourner leur regard » résume-t-il.

Dans The Porning of America, les auteurs Carmine Sarracino et Kevin Scott expriment une opinion similaire : « un rapide survol de telles tendances, comme le circuit universitaire de porno amateur ou le déferlement de sites pornos amateurs […] suggèrent que le résultat naturel d’une nation sevrée de pornographie est une nation d’aspirants pornstars ». Même s’ils reconnaissent que la porno peut occasionnellement servir comme expression d’une libération sexuelle, voire politique pour certaines minorités sexuelles, Sarracino et Scott insistent sur le fait que la généralisation de la porno a pour conséquence d’amener à la surface les comportements qu’elle véhicule. Et les auteurs de tracer des parallèles entre le succès de la torture porn et la violence faite aux femmes, mais aussi les très médiatisés abus infligés aux prisonniers d’Abu Ghraib par les GIs en Irak.

Ce qui peut surprendre dans ces discours très négatifs, ce n’est pas tant le message que le messager. Il n’est pas étonnant que ce genre de propos trouve un écho négatif chez une grande partie de la population qui voit encore la pornographie comme quelque chose de fondamentalement dégradant, que ce soit lorsqu’elle est regardée ou jouée, il n’y a rien de surprenant. Là où le bât blesse, c’est quand ce sont des universitaires (Sarracino et Scott) ou des penseurs (Marche) qui corroborent de tels jugements, en tenant si peu compte non seulement des vertus potentiellement libératrices de la pornographie sur Internet, mais aussi et surtout des études faites sur le comportement des gens qui regardent de la porno.

Une étude menée par Simon Louis Lajeunesse à ce sujet auprès d’universitaires démontre que les gens « ont besoin de voir des gens qui leur ressemblent et qui vont plus loin qu’ils ne pourraient le faire ». « Cela confirme la fonction carnavalesque de la pornographie. Un monde temporaire, à l’envers du monde réel jouant un rôle libérateur des contraintes et des rituels sociaux imposés par la vie en communauté », ajoute Lajeunesse. Pratiquement tous les hommes regardent de la porno. Dire que ça affecte leurs relations avec leur partenaire, c’est aussi logique que de dire que les publicités pour la vodka Smirnoff mènent à l’alcoolisme, conclut le chercheur.

Même si la grande majorité de la pornographie qu’on retrouve sur Internet ne peut prétendre avoir des bienfaits libérateurs ou à participer à une réappropriation de la sexualité, ce phénomène existe bel et bien. Quoiqu’encore marginaux, il se crée un nombre croissant de sites de pornographie DIY qui ne gravitent pas uniquement autour de vidéos ou de photos, mais qui font aussi place à la discussion et à la création de réseaux. Ainsi, les gens qui ont une sexualité atypique et/ou qui vivent dans un milieu conservateur peuvent non seulement regarder du contenu qui ressemble à leurs fantasmes, mais sont de plus amenés à partager leurs pensées et leurs préoccupations de manière collective. Ainsi, ces sites remplissent un double rôle de satisfaction sexuelle et sociale. Une grande partie de ces réseaux fait partie de la mouvance queer, qui rassemble gays, lesbiennes, transsexuels, bisexuels, travestis et transgenres, mais aussi adeptes du BDSM et fétichistes. Par exemple, le site Internet DigiRomp​.com, sur lequel on trouve surtout des photos, est « un réseau social lesbien pour partager des expériences érotiques ».

Peu de choses ont été écrites sur ce phénomène mais de plus en plus d’activistes queer s’organisent et forment des collectifs, ou mettent sur pied des festivals qui mettent de l’avant le côté libérateur que peut avoir la porno. Sharing is Sexy, basé à San Diego, se veut ainsi être un laboratoire porno open source et un collectif « sexe positif » qui promeut la « positivité sexuelle » et la fluidité des genres. Le petit groupe de guérillas sexys, comme ils se décrivent eux-mêmes, a notamment donné une conférence ici, à McGill au mois de mars 2008. Dans un ordre d’idées similaire, le journal de Seattle The Stranger parraine le festival de pornographie amateur HUMP ! qui en est à sa cinquième édition.

Alors, la porno DIY : un quinze minutes de célébrité ou un nouveau moyen de libération sexuelle ?

Sexy sweet home

Après les cadeaux, le resto et les longs regards langoureux, vous rentrez enfin chez votre valentin(e). Tout y est : la traînée de pétales de roses, le corridor de bougies, les chocolats, la bouteille de champagne et… la caméra ! Certains trouveront sûrement l’idée déplacée, mais, si l’on y réfléchit bien, voilà une façon peu coûteuse et amusante de rendre votre Saint-Valentin véritablement unique et inoubliable. Pensez à la prochaine fois où, loin l’un de l’autre, votre valentin(e) vous manquera terriblement. Qu’allez vous préférez regarder : sa vieille photo de finissant(e) qui est dans votre portefeuille depuis des mois ou votre torride vidéo de la Saint-Valentin ?

Avant que vous ne couriez acheter un kit d’infirmière ou de pompier pour l’âme soeur en prévision du grand soir, quelques conseils s’imposent. Inspirés de ceux donnés par les experts du très sexy blogue Tryst, voilà les quatre bases d’un bon porno Do It Yourself :

Utilisez vos talents de cinéaste : si vous comptez utiliser une webcam ou une caméra fixe, assurez-vous que le cadrage et la luminosité soient adéquats. Un lieu sombre, un cadrage brouillon et des cris épars, ça fait plus Blair Witch Project que Deep Throat. Mettez‑y du son et exprimez-vous : ça ajoute au plaisir, mais aussi à la qualité de la vidéo. Sinon, le résultat risque de ressembler à une game de hockey sans commentaire. Distrayant, mais pas captivant.

Expérimentez : depuis le temps que vous attendez une occasion pour ressortir votre Kâma-Sûtra et vos accessoires érotiques, ça ne rendra la chose que plus plaisante. Restez vous-même et amusez-vous : le but n’est pas de concurrencer Jenna Jameson et Rocco Siffredi mais de vivre cette expérience pleinement en profitant du moment présent sans trop penser au résultat final.

Bien sûr, si vous voulez amener l’expérience un peu plus loin, vous pouvez toujours rendre la vidéo publique. Ici, les blogueurs de Tryst suggèrent d’éditer votre vidéo si votre but est que votre soirée de Saint-Valentin connaisse le plus grand succès possible une fois sur la toile. De la même façon que vous mettez vos films de famille sur YouTube, vous pourrez mettre le résultat final sur YouPorn ou Redtube, deux sites d’hébergement de vidéos érotiques.

Rien ne vous y oblige bien sûr. D’ailleurs les spécialistes tendent à dire que vous avez de grandes chances de le regretter tôt ou tard. « Quand on met une image sur Internet, on en perd totalement le contrôle. Réfléchissez pour savoir si vous pensez que dans quelques années la circulation de votre image dans des situations intimes vous conviendra toujours » avertit Simon Louis Lajeunesse.

Mais si vous faites fi de ce conseil et décidez de passer à l’acte, deux choses demeurent certaines : vous ne serez pas les premiers à le faire, loin de là. Et même si vous poussez l’expérience très loin, votre vidéo risque de paraître peu original à côté de ce qu’on trouve sur le Net. Mais ça, de toute façon, vous le saviez déjà. Bienvenue dans le merveilleux monde de la porno Do It Yourself (DIY). Un petit porno pour la Saint-Valentin ?


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