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Une partition nuancée

Le Théâtre du Rideau Vert présente Une musique inquiétante de l’américain Jon Marans, un savant mélange de théâtre et de musique classique allemande mis en scène par Martin Faucher.

L’action se déroule à Vienne en 1986. Un vieux professeur de musique (Jean Marchand), penché sur son piano, répète l’accompagnement d’un lied de Schumann. Un nouvel élève entre brusquement sans frapper : jeune pianiste prodige venu des États-Unis pour étudier avec le professeur Schiller, Stephen Hoffman (Émile Proulx-Cloutier) se retrouve ainsi face à face avec Joseph Mashkan, professeur de chant. La situation inattendue révèle toute l’arrogance et l’opiniâtreté du jeune musicien. Il ne veut pas rester.

Pourquoi étudierait-il tout à coup le chant alors qu’il cherche désespérément à reconquérir son instrument ? Tout a été arrangé ainsi par Schiller. Ainsi se profilent malentendus, conflits et dialogues enlevés.

Mashkan prétend lui enseigner l’art de l’accompagnement en lui donnant des leçons de chant. Pour bien accompagner le chanteur, soutient-il, il faut d’abord le comprendre. Il faut aussi bien comprendre le lied, dialogue harmonieux entre le piano, le texte et la voix. C’est ici que le troisième personnage fait son entrée : le Dichterliebe (Les amours du poète), un cycle de lieder du compositeur romantique Robert Schumann. L’interprétation de cette oeuvre nécessitera ouverture, écoute et émotion de la part du jeune musicien, mais là est le véritable problème : Hoffman est un technicien virtuose du piano. D’esprit cartésien, il ne connaît pas l’émotion. Et Mashkan sera là pour lui montrer la voie.

Ainsi, au fil des leçons de chant –donnant lieu à des interprétations musicales remarquables– les deux protagonistes s’affrontent, chantent et jouent du piano tandis que peu à peu, l’Histoire s’immisce dans le récit pour s’interposer entre les personnages. La visite du jeune musicien dans un ancien camp de concentration nazi viendra le bousculer et transformer à jamais sa relation avec le professeur.

À la recherche de son passé, Hoffman découvrira peu à peu celui, bien plus lourd, de Mashkan. Et c’est lors du dernier lied du cycle, dans lequel la partie de piano se détache de la ligne vocale pour ensuite ne faire qu’un avec elle, qu’ils trouveront un terrain d’entente, un lieu de communion et de réconciliation.

À l’image des pièces de Schumann, les dialogues de Jon Marans (traduits en français par Maryse Warda) sont empreints d’ironie, oscillant toujours entre la joie et la tristesse, sous-tendant une émotion constante. La mise en scène qu’ils habitent se fait, quant à elle, classique et soutenue sans jamais trop attirer l’attention sur elle-même. Subtile et efficace, elle met en valeur les prodigieux talents d’acteur et de musicien des deux comédiens qui, manifestement, semblent taillés sur mesure pour interpréter ces deux personnages hauts en couleurs.

Jean Marchand, acteur chevronné et pianiste accompli (d’ailleurs accompagnateur à l’École de musique Schulich), incarne avec finesse et profondeur un Mashkan énergique, passionné et attachant. Pour sa part, le jeune premier Émile Proulx-Cloutier surprend par sa maturité, son aplomb et sa sensibilité musicale en se glissant dans la peau du jeune virtuose impétueux.

Si les comédiens offrent des performances remarquablement poignantes, on en vient tout de même à se demander si cette énième variation sur le thème de l’Holocauste peut encore trouver sa pertinence (et sa résonance) aujourd’hui.

Sans doute cette partition à trois voix entrelacées –celles de l’homme, de la musique et de l’Histoire– justifie son existence et son succès en permettant au public de découvrir (ou de redécouvrir) la musique sublime, intemporelle et inquiétante de Schumann. 

Une musique inquiétante
Où : Théâtre du Rideau Vert, 4664 St-Denis
Quand : 26 janvier au 27 février
Combien : 30$ (étudiants)
*Cette coproduction avec le Centre Segal sera présentée en version anglaise du 14 au 27 mars 2010 au Centre Segal des arts de la scène.


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