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Pause-thé

À chaque seconde, 25 000 tasses de thé sont bues dans le monde. Le thé est la deuxième boisson la plus courante après l’eau. Sa popularité est aussi séculaire qu’universelle. Malgré ses effets bénéfiques sur la santé, plusieurs lui trouveraient un goût amer s’ils connaissaient les conditions de travail auxquelles font face ces ouvriers qui s’activent tout au long de l’année dans certains de ces champs tropicaux. Le Délit a décidé de lire le thé avant de boire la tasse.

Le thé et la santé

William Gladstone, ancien premier ministre britannique, avait dit : « Si tu as froid, le thé te réchauffera. Si tu as chaud, ça te détendra. Si tu es dépressif, ça te réconfortera. Si tu es excité, ça te calmera. » Des recherches ne cessent de démontrer les effets bénéfiques du thé sur la santé. Le UK Tea Council rapporte que le thé aide à l’hydratation du corps humain, en plus de lui fournir vitamines et minéraux. De plus, vu qu’il contient de 50 à 65% moins de caféine que le café, les amateurs peuvent se permettre d’en prendre plusieurs tasses par chaque jour.

D’autres recherches, dont plusieurs menées par le Tea Advisory Panel (TAP), confirment que le thé est une source d’antioxydants, qui sont digérés, absorbés et métabolisés dans l’organisme, contribuant à un corps en bonne santé. Le rôle des antioxydants n’est pas négligeable : le Docteur André M. Cantin, professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke et actuel président du comité consultatif médical et scientifique de la Fondation canadienne de la fibrose kystique, est arrivé à la conclusion que « les antioxydants peuvent réussir à freiner les radicaux libres engagés dans la fibrose pulmonaire et la fibrose kystique ». Docteure Nathalie Jobin, directrice de la nutrition et des affaires scientifiques chez Extenso, un centre de référence sur la nutrition humaine affilié à l’Université de Montréal, vante aussi les bienfaits des antioxydants puisqu’ils aident à prévenir l’apparition de certains types de cancer et de maladies cardiovasculaires.

« Pour ce qui est des antioxydants, il faut cependant demeurer prudent » remarque toutefois Docteur Victor Gavino, professeur à la Faculté de médecine et au Département de nutrition de l’Université de Montréal. « Nos croyances varient d’une semaine à l’autre, et les conclusions des scientifiques se contredisent, surtout en ce qui concerne la biodisponibilité. […] Même si le thé existe depuis 5000 ans et que l’on a accumulé de la documentation, des histoires, des anecdotes, il reste cependant bien des choses à prouver. »

ABC thé

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), les cinq plus grands pays producteurs : la Chine, l’Inde et le Sri Lanka, le Kenya et la Turquie, représentent 75% de la production mondiale de thé. On retrouve plus de 1500 types de thé aujourd’hui, et tous proviennent de la même plante, la Camellia Sinensis, originaire de l’Empire du Milieu. Ainsi, qu’il soit noir, vert, oloong, blanc, comprimé ou bien aromatisé (les six grandes catégories selon le UK Tea Council), le thé est obtenu en traitant d’une façon différente les feuilles et les bourgeons issus de la récolte.

De plus, un peu comme la viniculture, le goût du thé est empreint du sol, du climat et de l’altitude de sa région de provenance. Toujours similairement au vin, son procédé de fabrication est un art ancestral très complexe dont les détails sont très bien gardés. On peut toutefois décrire en grandes lignes la méthode de préparation du thé.

Premièrement, le dépérissement consiste à couper et déchirer les feuilles de thé dans des grands tonneaux à air chaud pendant dix à seize heures, ce qui aide à faire évaporer l’eau qui est contenue dans les feuilles. Une fermentation suit, contribuant à faire oxyder les feuilles pour leur donner un arôme particulier. Les feuilles de thé sont ensuite envoyées au séchage sous air chaud, et parfois une cuisson accompagne cette phase. Le temps accordé à chaque étape (et les nombreuses déclinaisons de ces procédés) varient selon le type de thé désiré. Ainsi, une fermentation partielle est le secret du thé oloong, alors qu’une exposition des morceaux de feuilles à la vapeur avant la fermentation produira un thé vert. Toutefois, si sa consommation s’avère bénéfique pour la santé humaine et sa production aussi noble que celle du vin, les conditions de travail du paysan par rapport à sa culture et sa récolte dans certaines régions ainsi que plusieurs impacts environnementaux notables ne méritent guère d’éloges.

Problèmes de thé

Le thé ne fait pas exception et des problèmes sociaux et environnementaux touchent l’industrie. Dans certaines plantations, « les fermiers abandonnent leurs terres, les négligent et ne reçoivent pas un prix juste pour leur travail », explique Philippe Gaston, directeur général d’Équita d’Oxfam- Québec. L’Organisme Équiterre critique le manque d’uniformité des conditions de travail, puisqu’elles varient de pays en pays, et de régions en régions à l’intérieur même de ces pays. S’il semble évident que les conditions de travail sont plus aisées au Japon, il est néanmoins plutôt difficile de dresser un portrait juste de celles pratiquées sur l’immense territoire indien par exemple. On peut cependant remarquer quelques similarités dans certaines plantations de plusieurs pays en voie de développement.

Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), déplore le traitement réservé aux femmes : leur dextérité leur permet de participer avec une grande efficacité à la récolte, mais leur salaire est moindre que celui des hommes. De plus, les paysans travaillent toute la journée, sept jours sur sept. L’UNESCO rapporte également qu’au Kenya, jusqu’à 30% des cueilleurs ont moins de 15 ans. Le journal Labor File rapporte que la pauvreté règne bien souvent dans les plantations, celle- ci étant expliquée par la présence de travailleurs temporaires, des rémunérations infimes, ainsi que par le peu d’investissement dans les installations dédiées à la santé ou à l’éducation.

La Rainforest Alliance, quant à elle, s’inquiète de l’exposition des travailleurs à l’usage intensif de pesticides qui, en plus de causer des troubles à l’écosystème, endommage grandement le système respiratoire des cueilleurs. De plus, puisque la culture du thé s’effectue dans les régions équatoriales, la déforestation de la forêt tropicale est fréquente, afin d’augmenter la taille des plantations, facilitant l’érosion et l’augmentation de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

L’équitable à la rescousse ?

Heureusement, le mouvement équitable a pris de l’ampleur au cours des années. Kevin Gascoyne, un des fondateurs de la maison de thé Camellia Sinensis, a été le premier à obtenir une certification « équitable » au Canada pour le thé. « Nous nous rendons en personne dans les plantations, et nous achetons directement aux producteurs afin de collecter des thés de classe mondiale », nous explique-t-il. « Ceci est l’essence même du commerce équitable : réduire le nombre d’intermédiaires et donner la juste part des revenus aux producteurs, qui décideront comment disposer de cet argent perçu. »

Par exemple, Titus Pinto, directeur du United Nilgiris Tea Estates en Inde, certifié équitable, précise qu’il y a, dans sa plantation, « un corps composé à 90% de travailleurs qui décide comment l’argent doit être dépensé ». Ce ne sont par contre pas tous les producteurs qui utilisent l’argent d’une façon démocratique, « et là demeure la complexité du commerce équitable », ajoute Monsieur Gascoyne. « Mais malgré cela, je crois au mouvement équitable car c’est le seul système qui ultimement respecte les travailleurs ». Monsieur Gaston nous assure que dans la plupart des coopératives les profits sont réinvestis dans des projets liés à l’éducation et à la santé et que le suivi est devenu plus strict au cours des cinq dernières années : « Il est bon, maintenant que le commerce équitable soit bien parti, de pouvoir dire que tout n’est pas parfait et qu’on travaille à mieux traiter les producteurs. Mais c’est un travail de longue haleine. Les sceptiques et ceux qui ont intérêt à ce que le commerce équitable ne se développe pas, vont tenter de plus en plus de détruire la confiance et la crédibilité, si précieuses, établies au cours de longues années de travail », conclut-il.

Au Québec, la popularité du thé supplantera- t‑elle celle du café ? Monsieur Gascoyne, né au Royaume-Uni, pays où il se boit 165 millions de tasses de thé par jour, nous répond que rien n’est impossible. « Tous les jours, sans exception, des gens viennent dans la boutique afin de trouver une alternative au café. Et la semaine d’après, ils reviennent et nous remercient : ils sont contents d’avoir arrêté de boire du café et se sentent plus en santé et plus heureux ! » William Gladstone avait raison. 


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