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Le passeur de mots

Le discret mais talentueux Moran nous offre Mammifères, un deuxième opus qui poursuit en beauté un parcours musical que l’on souhaite encore long.

Moran est d’abord et avant tout un parolier. Il cultive les mots et les déploie avec virtuosité pour en faire des chansons touchantes, alliant habilement musique et littérature. C’est ainsi qu’il s’est tissé un univers qu’il nous a présenté pour la première fois en 2006 avec l’album Tabac. S’il s’est fait plutôt discret, s’attirant néanmoins les faveurs d’un public fidèle, l’auteur-compositeur-interprète n’est pas passé inaperçu de la critique, qui a salué son talent. Avec Mammifères, il poursuit un chemin qu’il avait amorcé de bien belle façon, à la fois fidèle à un son qui lui est propre et désireux d’explorer de nouveaux horizons.

Dès la première écoute, on constate que c’est bien au même Moran que l’on a affaire. L’auditeur se retrouve plongé dans un monde d’émotions douces et de mots voluptueux portés par des mélodies simples mais justes. Il nous parle d’amour, de désir, et de solitude, de ses doutes et de ses certitudes, usant d’un vocabulaire imagé et implacablement poétique. C’est beau, ça berce, et c’est irrésistiblement unique. Mais ce que l’on sent aussi, c’est la volonté de l’artiste de s’aventurer hors des pistes qu’il a l’habitude de suivre, ce second album étant un tantinet moins intimiste que son prédécesseur et un peu plus hétérogène. Deux duos avec Catherine Major apportent à l’album une diversité rafraîchissante. La voix basse et rauque de Moran, toujours empreinte d’une certaine dose de gravité mélancolique, y trouve une légèreté qui lui va bien. Il convient également de souligner la présence de pistes en anglais, comme il y en avait déjà eu quelques unes sur Tabac. « Needs », « Coffee With The Moon » et « Lies » ‑cette dernière est un véritable bijou- s’inscrivent de manière très naturelle dans le fil de l’album, et c’est particulièrement remarquable du fait que ce mélange des langues ne se fait pas toujours aussi harmonieusement. Ici, ça coule de source, c’est pleinement et totalement assumé et ça se sent.

L’innovation se fait également sentir du côté musical. Les arrangements sont plus complexes, et la musique, beaucoup plus marquée. Sur Tabac, toute la place était laissée à la voix de l’interprète, accompagnée très simplement de quelques accords de guitare. Cette fois, Moran a opté pour une plus grande présence de ses musiciens et s’est aventuré sur un terrain un peu différent. On perçoit bien dans ce choix la volonté d’aller plus loin dans une démarche où, jusque- là, la musique ne se voulait qu’un prétexte aux mots. Il reste toutefois que l’univers de Moran est avant tout littéraire, qu’il repose sur le texte, et que c’est là, précisément, que résident sa force et sa beauté. Vouloir nous distraire de cette qualité pourtant remarquable de l’auteur-compositeur- interprète, c’est peut être une erreur, et probablement le seul défaut de l’album. Les arrangements prennent parfois le dessus et la voix, alors, se perd. C’est dommage, car le pouvoir d’attraction moranesque, on le doit surtout à sa voix et à son verbe.

Moran se ferait-il moins sauvage ? C’est probable. Celui qui restait tapi dans l’ombre semble vouloir sortir de sa tanière. On aimait le côté intimiste de Tabac, et on aimera autant les explorations de Mammifères. Gardez l’oeil ouvert et l’oreille tendue, car ce serait péché que de passer à côté d’un talent comme celui-là. 


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