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La tête en friche

Longueuil by the beach

Née à Montréal, déracinée à l’aube de l’adolescence, forcée de suivre la cellule familiale jusqu’à des endroits terribles, gris, le bout du monde, le royaume des thermopompes et des semi-détachés, j’ai souffert de mon déménagement. En banlieue. La vraie : le dépanneur le plus proche à vingt-cinq minutes de marche, les autobus qui passent une fois l’heure la fin de semaine, le concert ininterrompu des tondeuses, les autobus scolaires…

Ma maman était contente, il y avait des chardonnerets dans les mangeoires, et un grand jardin à aménager. En plus, un immense parc tout près, des pistes de ski de fond, des sentiers, des kilomètres de plaisir et d’ornithologie.

Pour moi, seule amélioration ‑discutable‑, le câble. Des heures de zapping, quelques bons films de répertoire, une quantité infinie de mauvaises traductions, quelques matchs de curling. Beaucoup de msn ‑les amis étaient trop loins pour que je puisse les voir en personne- et de coups de fil interminables.

Ce qu’il y de bien, en banlieue, c’est qu’il y toujours un voisin sans enfants avec une grande piscine creusée, chauffée à 80 degrés (en banlieue, on parle en degrés Farhenheit pour l’eau de piscine, et en pieds pour toutes les mesures). Durant mes sept ans de vie en banlieue, j’ai dû emprunter au moins cinq réseaux d’autobus différents, dont le tarif étudiant, lorsqu’il y en avait un, allait de 2,50$ à 5,00$, et parfois on avait de la chance parce que les autobus étaient conduits par des collecteurs d’argent préhistoriques qui ne comptaient même pas les pièces. Pardon, société des transports de Saint-Bruno.

Ah, la Rive-Sud, ses autobus voyageurs, ses longs, longs trajets. Et les derniers bus, ah ! Ces derniers bus… À 1h21, le vendredi soir, titubant de l’abreuvoir à l’arrêt de bus, errant dans le terminal suréclairé aux néons à la recherche de quelque chose pour tuer le temps, qui s’est présenté quelque fois, souvent en la personne d’un garçon qui jonglait avec des balles transparentes, en acrylique. Si transparentes qu’on ne peut pas les voir tourner, on dirait que la balle glisse le long du bras, de la main ‑je ne sais pas pourquoi, ça m’a toujours fait penser à Labyrinthe. En plus, on était dans le même bus.

J’ai aussi rencontré ce garçon, presque mon voisin, jeune cégépien à l’époque, qui avait des cheveux noirs frisés encadrant un visage doux, un peu joufflu, un sourire rêveur et des grands cils. On parlait à chaque fois qu’on se croisait, il étudiait en informatique, il avait eu un stage chez Pratt & Whitney, et finalement ils l’avaient engagé. On a commencé à faire semblant de ne pas se reconnaître, il s’est coupé les cheveux, il a pris une bedaine, et son sourire a disparu.

C’est la vie, y parait. 


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