Le titre du premier roman de Guillaume Corbeil, Pleurer comme dans les films, laisse présager une sensibilité volontairement exagérée et kitsch, celle d’un personnage se complaisant dans sa douleur pour mieux se mettre en scène. La surprise n’en est que plus grande en découvrant l’univers insolite mais tendre des deux principaux protagonistes, un garçon hydrocéphale et une petite fille aux orbites vides. Ces figures enfantines monstrueuses, franchement bizarres mais pas trop conscientes de l’être, n’ont rien de cynique. Dans leur candeur, tous deux peuvent rêver aux destinées les plus fantasques, poussés en cela par des parents aussi éloignés du monde pratique que leur progéniture.
Le conte des habits neufs de l’empereur, qui revient à quelques reprises dans le récit sous une forme remaniée, résume presque à lui seul les thèmes centraux du roman. Et si l’empereur n’avait pas été la proie de filous ayant abusé de sa crédulité, mais avait bel et bien porté des habits, invisibles au plus grand nombre mais magnifiques aux yeux de quelques privilégiés ? Délibérément choisir de s’illusionner, faire « comme si », trouver refuge dans la fiction : autant de manières d’exister, de dépasser les limites trop restreintes qu’impose un réel qui, de toute manière, apparaît déjà surréaliste à travers le regard du narrateur. Le petit hydrocéphale, que sa mère prépare depuis toujours à une carrière de grand écrivain, modèle ses actions et ses pensées en fonction des biographies lues dans une série de revues intitulée La grande revue des grands écrivains. Cette comédie de l’existence, ce choix de jouer une vie écrite d’avance plutôt que de la livrer à la contingence des jours, offre aux personnages un destin à habiter en même temps qu’elle les emprisonne.
La langue qu’emploie Guillaume Corbeil, musicale et rythmée sans être ostentatoire, sert bien son texte. L’auteur a su créer une voix singulièrement forte pour son jeune narrateur, où derrière une immense naïveté perce une fragilité que met à mal la cruauté du monde qui l’entoure. Toutefois, malgré la brièveté du roman, quelques répétitions dans les propos et les péripéties alourdissent le texte. Ce défaut n’est cependant pas suffisamment problématique pour enlever au plaisir de suivre la quête malencontreuse de ces petits monstres aux allures de Don Quichotte.
Pleurer comme dans les films
Par Guillaume Corbeil
Leméac Éditeur
18,95$