« Régulièrement, Mara retournait en Abitibi ; Hubert, au Lac-Saint Jean. Tout ce temps sans se voir, c’était impensable. (…) Un chemin de fer existerait avant leur mort, c’était assuré. (…) Entre eux, de vastes territoires sauvages. »
Des premiers passages du roman de Mylène Bouchard se dégage le désir irréaliste de voir s’unir deux personnages que tout semble éloigner. Derrière ce désir, qui deviendra besoin, se profile une oeuvre qui part littéralement dans toutes les directions. La Garçonnière raconte la relation de Mara et Hubert, deux passionnés d’art et de littérature qui, dès leur première rencontre au Cégep du Vieux-Montréal, s’embarquent dans un amour impossible qui sera vécu textuellement, « comme une parenthèse », et qui les mènera au bout du monde. Ainsi se dessine une histoire d’amour simple, vécue principalement dans un Montréal méticuleusement décrit et où se succèdent les rencontres dans les cafés du Mile-End, les visites de galeries d’art et les tournées de bars. À cause de l’étiquette d’artistes/ intellectuels sensibles et tourmentés qui leur est trop rapidement apposée, ces personnages peuvent d’abord sembler incomplets, voire convenus, d’autant plus que leurs pensées et propos se teintent d’innombrables citations tirées des classiques sur lesquels se construit leur relation (L’Immortalité de Milan Kundera, le Refus Global, Tu m’aimes-tu de Richard Desjardins, pour n’en nommer que quelques uns). Une progression un peu tardive se fait finalement sentir dans le récit et lève alors le voile sur des images et des fixations des plus poétiques ; celles-ci prennent tout leur sens vers la fin du roman, quand Mara et Hubert se retrouvent à Beyrouth puis à Prague, vingt ans après leur rupture, transportant toujours avec eux les séquelles de leur amour inassouvi et toutes les hantises que la fatalité finit par dévoiler. Le style de Mylène Bouchard, dénué d’artifices, est à la fois éclaté et authentique, mélangeant points de vue, lieux et temps de façon tout à fait fluide. Son écriture, dans laquelle transparaît certainement un grand amour pour l’art et la littérature, fait du roman lui-même un ressort de l’existence des deux protagonistes, tant les recours qu’ils ont aux mots et aux expressions est précis, sensible et déterminant. D’une histoire plutôt simple et d’une mise en situation un peu maladroite découlent alors une oeuvre fort intéressante, qui vaut certainement que l’on s’y arrête.
La Garçonnière
Par Mylène Bouchard
Éditions la Peuplade
20,95 $