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Écrire entre parenthèses

Patrick Nicol publié pour la première fois au Quartanier.

Mahaut Engérant

Après trois romans chez Leméac, un autre chez VLB et un essai sur les événements de 2012 autour de la grève étudiante publié chez La Mèche, Patrick Nicol revient ce mois-ci avec un livre publié dans la série QR au Quartanier, La nageuse au milieu du lac. Le Quartanier a l’habitude de sous-titrer ses livres par le genre du livre en question, roman, prose narrative, fiction, fictions, succession. Il y a évidemment un jeu sur le genre, ce à quoi s’amuse Patrick Nicol avec son album, sous-titre de La nageuse au milieu du lac. De quoi serait-ce un album ? Le livre est ponctué de courtes parties, entre une et dix pages, qui donnent d’abord l’impression de tableaux ou de poèmes en prose. Ces morceaux de texte peuvent se lire progressivement comme des nouvelles, prenant de l’ampleur au fil du livre. Il s’agirait plus précisément d’épisodes, épisodes dans la vie d’un prof de cégep alors que sa mère est en train de mourir.

Le narrateur, qui comme l’auteur s’appelle Patrick et enseigne le français au cégep de Sherbrooke, évoque des épisodes de son enfance, y mêlant les femmes de sa vie, ou plutôt les femmes dans sa vie : sa mère, sa fille, ses blondes, ses étudiantes, ses collègues. Ce narrateur joue de dédoublements, images réfléchissantes de femmes, sa mère, lui-même. On assiste à la douce et subtile folie d’un pseudo-schizophrène hanté par la maladie qui a des troubles de concentration. Sa prose est ponctuée de doutes, de hantises, d’erreurs : « J’ai peur à l’erreur. Je pense à l’erreur et j’ai peur. »

La lecture de La nageuse au milieu du lac est passionnante à la lumière des recherches récentes autour du roman québécois, notamment avec Michel Biron, qui a développé la notion de conscience du désert dans un essai du même nom paru en 2010 chez Boréal, et plus récemment avec Isabelle Daunais et son essai Le roman sans aventure (Boréal, 2015) (Tous deux sont par ailleurs professeurs au Département de langue et littérature françaises de l’Université McGill). La nageuse s’inscrit effectivement dans la lignée des romans québécois, sans aventure, dans lesquels se déploie le drame silencieux d’une pensée vagabonde et pourtant enfermée, des personnages sans lieu, sans présent, sans avenir, et seulement de vagues réminiscences d’un passé qui n’a peut-être pas eu lieu.

Cela se fait pourtant sans faux lyrisme romantique, sans apitoiement même. La nageuse, comme ses illustres prédécesseurs – auxquels elle n’a rien à envier – est un livre qui se fait dans l’échec : « C’est effrayant tout ce qu’il me faudrait réussir et que je n’arrête pas d’échouer. » Et plus loin « J’ignore comment ça se fait, mais la capacité d’accomplir m’a quitté. » On ne peut s’empêcher de penser à un Hubert Aquin. D’ailleurs, le lac du titre serait-il le lac Léman de l’incipit de Prochain épisode ? Un lac tranquille, où rien ne se passe, dans un à‑côté de l’histoire.

Si la question nationale se lit entre les lignes au fil de La nageuse, le dernier épisode est un peu plus explicite et confirme cette lecture. Le narrateur, apparemment installé à Philadelphie, envie les Américains et leur narrative, le mythe des Pères fondateurs. Que reste t‑il à un pays sans aventure, en marge de l’histoire, sans narration collective ?

Si le narrateur a conscience du désert, il a aussi conscience de l’écriture et c’est cela, l’aventure dans le roman québécois. À l’image d’un Ducharme, c’est la langue qui se fait aventure, c’est par la langue que se remplit le vide romanesque.

Patrick Nicol et son écriture itérative jouent avec la langue, sur la phonétique, la diction, les homophones hétéromorphes, les participes présents et les adjectifs verbaux. Nicol tire sans répit, avec une subtilité cynique et un sourire en coin, à boulets rouges sur les conventions langagières, les discours convenus, le conformisme des réunions et la prédictibilité des échanges. Il écrit entre parenthèses l’indétermination propre à la littérature québécoise et l’absence d’horizon au pays de Québec.


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