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Vivre dans une église

Depuis les années 1990, la privatisation du patrimoine religieux est devenue une tendance à Montréal et au Québec. Si elle est critiquée par bien des organismes, elle est souvent le moyen le plus viable de récupérer des structures abandonnées.

Alors que la fermeture des églises et des institutions religieuses s’accélère au Québec, leur conversion en condominiums est aujourd’hui pratique courante. À mesure que le diocèse de Montréal continue de se défaire de son patrimoine immobilier, nombreux sont ceux qui déplorent la mise à disposition de lieux publics pour les couches nanties de la population. En revanche, d’autres perçoivent la privatisation comme un moyen réaliste de sauvegarder le patrimoine architectural du Québec.

Il y a quinze ans, Aldo Del Bono profitait d’un marché de l’immobilier favorable pour acquérir un appartement dans l’église qui fait le coin des rues Prince-Arthur et Jeanne-Mance. Coincée entre les tours de La Cité et de la Nouvelle Résidence de McGill, la bâtisse passerait presque inaperçue si ce n’est pour les extensions qui la complètent. M. Del Bono s’affiche comme athée, mais se dit heureux de voir cette structure préservée : « Cette église était vraiment abandonnée et la moitié du toit était éventré. Elle a été sauvegardée et a en quelque sorte trouvé une deuxième nature. »

Selon le propriétaire, l’église était la toute première à être transformée, il y a de cela une trentaine d’années. Elle abrite aujourd’hui vingt-quatre unités de tailles variable, dont le studio de M. Del Bono est une des plus étroites. Ce qui l’a poussé à s’installer dans un ancien lieu de culte, « c’est le hasard. J’aimais l’appartement et le cachet de la pierre, qu’on trouve rarement ici. » Si M. Del Bono a désormais l’habitude d’être abordé par les curieux, il rencontre peu de gens que l’idée de convertir une église en appartemements dérangent, mis à part ses amis italiens.

La reconversion résidentielle est pourtant l’objet d’une vive opposition. Carole Deniger, membre du conseil d’administration d’Héritage Montréal, affirme que nombreux sont les gens outrés par la privatisation d’un bâtiment construit avec les deniers publics. Rappelant que le souci premier de son organisme est la préservation du patrimoine, elle explique que le choix de l’usage que l’on en fait nécessite d’être réaliste. Elle n’hésite pas à avouer que « parfois, il vaut peut-être mieux avoir un usage privé, parce que financièrement, ça tient mieux la route. »

La rénovation et la mise aux normes des bâtiments sont en effet bien plus onéreuses que les acheteurs le croient. Par conséquent, pour Mme Deniger, « quand l’usage n’est pas lucratif, c’est difficile à rentabiliser ». La privatisation serait donc souvent une voie privilégiée pour la préservation patrimoniale. Dans cette optique, Héritage Montréal se méfie des discours qui affirment que l’usage public est un usage optimal. « Il ne faut pas non plus partir de l’idée que le promoteur privé est toujours ‘méchant’», affirme Mme Deniger.

Cela n’empêche pas les dérapages, dont le cas du 1420 Mont-Royal est un exemple des plus récents. L’Université de Montréal, ayant acheté le bâtiment aux soeurs des Saints Noms de Jésus et de Marie en 2003, a renoncé face aux coûts exorbitants. Elle souhaite aujourd’hui revendre le lieu à un groupe privé, qui en ferait des condominiums de luxe, ce qui nécessiterait un changement de zonage. Or, tant de démolitions ont déjà eu lieu sur le site qu’il ne reste plus grand-chose à préserver, si l’on en croit Mme Deniger. Autre faux pas : la conversion en 2004 de l’église Saint Jean de la Croix en condominiums, dont l’apparence a tendance à déplaire.

Les lacunes découlent le plus souvent d’un manque de vigilance dans les premiers temps du processus. « C’est en amont qu’il faut mettre les conditions », explique Mme Deniger, qui souligne que « les vendeurs peuvent exiger certaines conditions. »

Au-delà de l’étape douloureuse de la vente, les structures reconverties ne font pas toujours des propriétés idéales, dans la mesure où leur transformation, parfois hâtive, s’accompagne de problèmes à long terme pour les occupants. Cela s’applique moins aux couvents et aux pensionnats qu’aux églises, qui ne sont nullement conçues pour l’habitation.

Si M. Del Bono avoue que son achat avait été abordable, il admet débourser des milliers de dollars par années dans des travaux d’entretien. Cela est dû en premier lieu à la piètre qualité de la finition, faite par un promoteur qui est « parti avec la caisse ». À cela s’ajoutent d’amères querelles de copropriétaires.

À croire que les groupes communautaires ne sont pas les seuls à s’opposer aux appartements luxueux, l’église de la rue Prince-Arthur refuse elle aussi son nouveau sort. Pour M. Del Bono,   si tant de travaux sont nécessaires, c’est que « c’est une structure qui n’a jamais accepté d’être un condo. »


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