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Enseignement catholique recyclé

Les Sceptiques du Québec et le Mouvement laïque québécois contestent le nouveau programme d’éthique et culture religieuse.

Depuis septembre 2008, le nouveau cours d’éthique et culture religieuse (ECR) remplace à la fois les cours d’enseignement moral et les cours d’enseignement religieux, tant au primaire qu’au secondaire. Le vendredi 13 mars 2009, les Sceptiques du Québec présentaient la conférence de Marie-Michelle Poisson, professeure de philosophie au cégep Ahuntsic et présidente du Mouvement laïque québécois (MLQ), dans le but d’exposer les failles de ce cours obligatoire qui ne fait pas l’unanimité.

Dans son livre Éthique, culture religieuse, dialogue, Georges Leroux, professeur de philosophie à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), écrit que le nouveau programme d’ECR « repose à la fois sur le développement du raisonnement éthique et sur la connaissance des traditions morales, spirituelles et religieuses présentes dans l’histoire ». Les élèves apprendraient à comprendre les grandes religions, à échanger avec leurs camarades de classe et à s’ouvrir aux autres cultures. Cependant, l’enseignement obligatoire de l’ECR ne plaît pas à tous : dans un article du Devoir publié en 2007, Clairandrée Cauchy écrit que plusieurs parents se sont réunis pour former la Coalition pour la liberté en éducation, un groupe qui « estime que les parents devraient pouvoir choisir un enseignement religieux confessionnel » et critique l’impossibilité d’obtenir une exemption des cours. Les Sceptiques du Québec et le MLQ, reconnus pour le soutien qu’ils ont apporté à l’enseignement laïc, contestent également le nouveau programme.

Selon la professeure Marie-Michelle Poisson, les cours d’ECR seraient en réalité des cours d’éducation religieuse catholique, déguisés sous le masque du multiculturalisme et de l’approche philosophique. Si la population québécoise regardait attentivement les détails du programme, explique-t-elle, elle y verrait un excès de contenu religieux, au détriment de l’éthique. La répartition du temps alloué aux différentes religions serait également douteuse : le christianisme, et plus précisément le catholicisme, doit être étudié régulièrement tout au long de l’année scolaire, alors que le judaïsme et les spiritualités autochtones sont présentés seulement à quelques reprises. L’islam, le bouddhisme et l’hindouisme sont peu abordés. Finalement, on ferait seulement allusion à l’athéisme, sans le nommer. Selon la professeure Poisson, les cours d’ECR « ne correspondent pas aux besoins du milieu » : si 80 p. cent de la population québécoise dit être catholique, seulement 15 p. cent de la population se décrit comme étant pratiquante. De plus, la grande proportion d’athées au Québec n’y trouve pas son compte. Une personne présente dans la salle a défendu ce parti pris présent dans les nouveaux cours, précisant que la prépondérance du catholicisme est justifiable si l’on considère l’histoire et la culture québécoises. Mais qu’en est-il alors de la laïcisation supposée de l’enseignement ? La professeure de philosophie explique qu’il n’y a jamais eu de laïcisation, mais seulement de la dissimulation : des lobbys catholiques travaillant au sein du gouvernement s’assureraient du maintien de l’enseignement religieux catholique, coûte que coûte. Et maintenant, les cours d’ECR sont protégés par la loi. Ainsi, tous les professeurs doivent l’enseigner et aucun élève ne peut en être exempté.

Les manuels d’apprentissage utilisés dans les cours d’ECR soutiennent cette disproportion et cet « obscurantisme », déplore Mme Poisson. Dans un manuel produit par les Éditions CEC, la religion catholique se voit illustrée par des images vivement colorées et des textes volumineux, alors que l’on réserve des images sobres et des paragraphes plus courts aux autres religions et rites. Les racines païennes aujourd’hui associées aux fêtes chrétiennes ne sont pas du tout mentionnées. De plus, les exercices proposés aux élèves violeraient la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. On exige des jeunes qu’ils témoignent de leurs expériences religieuses personnelles, alors que, selon la Charte, les enfants ont le droit de refuser de dévoiler leur religion. Les manuels sont achetés par l’école et demeurent à l’intérieur de l’établissement ; les parents ne sont donc pas réellement au courant du contenu du cours.

En plus de recevoir une éducation religieuse partiale, les jeunes développeraient une compréhension erronée et limitée de « l’autre ». Les cours d’ECR abordent les groupes culturels uniquement sous l’angle religieux et présentent donc l’autre exclusivement comme un être religieux. De plus, les illustrations  des minorités ethniques dans le manuel des Éditions CEC laissent à désirer : lorsque les élèves québécois ne se font pas servir des images stéréotypées, ces dernières sont représentées parfois par une bestiole mauve, parfois par des lutins. On y explique aussi que l’autre est semblable, mais surtout différent et davantage heureux parmi les siens. Mme Poisson croit que ce matériel pédagogique favorise le relativisme, le renfermement, l’incompréhension et le repli sur soi, plutôt que d’encourager l’inclusion et la recherche de valeurs universelles et communes. Ce matériel renforcerait également les préjugés existant envers les pratiques religieuses des immigrants. Pourtant, explique Mme Poisson, une étude des droits de la personne a conclu que les nouveaux arrivants au Québec « sont moins fervents religieux que les Québécois de souche » et qu’ils auraient « une tendance nettement supérieure à ne pas reproduire leurs croyances chez leurs enfants ». Ces enfants d’immigrants s’identifient aux Québécois, mais sont renvoyés à une autre origine, poursuit la professeure.

Bref, selon Mme Poisson, les cours d’ECR et ses manuels donneraient aux enfants une formation religieuse partiale, incomplète, erronée et simpliste, alors qu’il existe pourtant actuellement du matériel pédagogique pour présenter l’éthique et la philosophie aux enfants. Elle souhaite que les professeurs sachent transmettre cette matière avec un esprit davantage critique et avec une approche plus ouverte et plus égalitaire.


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