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Les pages juives de la littérature d’ici

Pour ceux qui ne connaissent de l’héritage juif de la métropole que les bagels du Mile End et le smoked meat de chez Schwartz’s, une petite mise au point s’impose. Le Délit vous propose un survol historique et vous présente quelques figures marquantes de la littérature juive à Montréal, souvent méconnue des francophones.

La culture et la littérature juives font partie intégrante de Montréal, une ville qui a longtemps été considérée comme le centre de la culture yiddish au Canada. Si on parle souvent des deux solitudes au Canada, le poète canadien A.M. Klein n’hésitera pas à qualifier la réalité des juifs de Montréal de « troisième solitude ».

La première vague d’immigration juive au Canada a lieu à la fin du XIXe siècle, mais il faudra toutefois attendre la seconde moitié du XXe siècle pour qu’une véritable communauté juive se forme à Montréal. La plupart des immigrants juifs avaient alors pour langue maternelle le yiddish, et adoptèrent par la suite majoritairement l’anglais, ce qui explique la rareté des ouvrages juifs montréalais en langue française. Après quelques générations seulement, le yiddish se fait déjà plus rare dans la métropole, faisant place à l’anglais dans la communauté. La littérature juive canadienne prend donc dès sa naissance un accent « internationaliste », c’est-à-dire qu’une perspective étrangère est souvent empruntée par les artistes. Si les communautés juive et francophone se sont longtemps opposées, notamment en ce qui a trait à la question linguistique, les nouvelles tendances montrent bien que l’une et l’autre sont des sources d’inspiration et que tous les mélanges sont désormais possibles.

Quelques figures importantes
A.M. Klein est souvent perçu comme un précurseur dans le domaine de la littérature juive. Celui qui a vu le jour en Ukraine en 1909 arrive à Montréal à un très jeune âge et y demeurera durant la majeure partie de sa vie. Klein a jonglé avec l’hébreu et le yiddish, mais également avec l’anglais et le français, s’amusant à lier les langues les unes aux autres et à en transposer les expressions. Son étude des langues ne s’est d’ailleurs pas limitée à l’aspect linguistique, puisqu’il s’est également intéressé aux cultures qui en découlent. Pour Klein, les identités anglophone et francophone représentaient une partie fondamentale de lui-même, au même titre que son identité juive. Il voyait beaucoup de parallèles possibles entre la communauté juive et les Canadiens français, deux cultures minoritaires avec de fortes traditions.

Mordechai Richler est l’une des figures les plus marquantes de la communauté juive montréalaise. Il n’a pourtant pas acquis ce statut sans avoir été fortement critiqué. En grand provocateur, l’écrivain a semé plusieurs controverses au cours de sa vie, surtout en ce qui a trait aux différents nationalismes. Richler n’a jamais mâché ses mots, ce qui lui a valu des critiques de toutes parts : les opinions de Richler ont été contestées par les francophones – l’opposition au projet souverainiste n’étant pas des plus populaires au Québec, particulièrement à l’époque – mais également par les anglophones. Il considérait le Canada comme « les racines de son mécontentement », ce qui explique sans doute l’ardeur de ses critiques, mais il revenait pourtant toujours au pays.

Irving Layton, né en Roumanie, est un autre acteur important de la littérature juive à Montréal. Il s’est positionné comme un libre-penseur, une attitude qui lui a valu sa part d’ennuis. Reconnu mondialement pour ses œuvres poétiques, Layton a aussi été très impliqué dans la sphère politique, longtemps associé à l’idéologie marxiste.

Comment, lorsqu’il est question de culture juive, passer à côté de l’une des figures marquantes de la musique d’ici ? Rares sont ceux qui ne connaissent pas Leonard Cohen. Devenu rien de moins qu’une vedette internationale, cet auteur-compositeur-interprète a gagné en popularité à la fin des années soixante, surtout au Canada et en Europe. On ignore parfois qu’avant de connaître un succès mondial, il avait déjà publié de la poésie et de la fiction. Ancien étudiant de Layton, son mentor littéraire, Cohen a emprunté toutes sortes d’avenues, tant artistiques que spirituelles. Cohen, qui a adhéré au bouddhisme, affirme se sentir à la fois bouddhiste et juif, ce qui participe certainement à édifier l’image déjà mythique de l’artiste.
Naïm Kattan, pour sa part, est sans doute le poète juif francophone le plus connu au Québec. Arrivé à Montréal en 1954, il a alors été perçu comme une curiosité, puisqu’il était francophone sans pour autant être catholique. C’est à travers André Gide que Kattan s’est d’abord intéressé à l’étranger, mais c’est à Montréal qu’il trouvera le lieu où toutes les cultures se rencontrent, où tout est possible. Ardent défenseur de la langue française, Naïm Kattan est un acteur important de la littérature québécoise et canadienne et son œuvre a été récompensée par plusieurs prix littéraires.

De nos jours, la littérature juive de Montréal prend plusieurs facettes, paraît en plusieurs langues et sous diverses formes. On peut penser à Robert Majzels qui utilise un anglais ponctué d’hébreu pour repousser les limites du genre narratif. Le Montréalais Endre Farkas, quant à lui, est un artiste bien établi dans la vie culturelle montréalaise en tant que poète, dramaturge et performateur. Bien que la littérature juive ne soit pas à l’avant-plan de la vie culturelle d’ici, elle occupe encore aujourd’hui une place bien à elle. Avec une histoire aussi riche et autant de grands noms, elle n’est certes pas près de s’éteindre, et on peut espérer qu’elle continuera à enrichir la vie de la métropole encore longtemps.

Si la littérature juive à Montréal vous intéresse, le Studio du Centre Segal des arts de la scène présente du 18 février au 5 mars Haunted House d’Endre Farkas, une pièce qui retrace la vie d’A.M. Klein, dont c’est le centième anniversaire de naissance cette année. Pour plus de renseignements, consultez le site du Centre Segal des arts de la scène au www​.segalcentre​.org .


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