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Les constructions identitaires, le Québec, et les « autres francophones » au Canada

En novembre 2006, le gouvernement conservateur de Stephen Harper passe une motion à la Chambre des communes du Canada, déclarant que le Québec forme une nation au sein d’un Canada uni. Depuis, la signification de cette déclaration ne cesse de poser maintes questions.

Cette déclaration vise-t-elle une spécificité du Québec en tant que province distincte, ou vise-t-elle davantage la particularité « francophone » de la province ? Il convient pour la discussion qui suit d’écarter la première supposition afin de pouvoir approfondir ce qui découle de l’emploi du terme « nation ».  D’abord, une analyse des incohérences de la déclaration s’impose pour ensuite passer à certaines conséquences de cette dernière sur les communautés francophones qui vivent hors Québec.

La déclaration stipule que le Québec forme une nation, c’est-à-dire que le Québec occupe un statut symbolique particulier au sein d’un Canada uni. En premier lieu, la notion de particularité doit être nuancée afin de mieux comprendre les répercussions de la déclaration. Une particularité, dans le contexte de la nation québécoise, semble évoquer plus spécifiquement une distinction.

Le sens de la distinction évoque davantage une différence, en l’occurrence, entre le Québec et les autres parties du Canada. D’ailleurs, Richard Théoret, doctorant à l’Université Laurentienne spécialiste de l’identité franco-ontarienne, soutient que la déclaration « confirme que le Québec est francophone et que le reste du Canada est anglophone. »

En revanche, la particularité du Québec est reconnue au Canada depuis longtemps et le « reste du Canada » n’est surtout pas complètement anglophone. La proclamation de l’Acte de Québec en 1774, qui reconnaît le droit civil français et la religion catholique, peut servir de point de repère si nous devons choisir une date précise pour la reconnaissance du statut particulier du Québec au sein du Canada. Déclarer maintenant que le Québec est une nation au sein du Canada, c’est prendre la particularité qui existe et la cristalliser en différence – une différence culturelle.

Pour certains auteurs, l’idée de « nation » appuie l’aspect distinctif d’un peuple. Sur ce point, Marcel Mauss caractérise la nation presque parallèlement avec la définition classique de l’État, à savoir une entité constituée d’un gouvernement légitime, d’une population, d’un territoire défini et d’une reconnaissance internationale. Pour souligner l’apport du concept de la « nation », il ajoute à la définition de l’État «[…] la relative unité morale, mentale ou culturelle des habitants […].» En clair, évoquer l’idée de « nation » représente une amplification de la caractéristique pour en faire une véritable différence.

Deuxièmement, l’emploi du terme « Canada uni » est également problématique. Il convient de le rappeler : une distinction crée des différences. La nation québécoise, distinguée par sa culture, est désormais opposable aux autres parties du Canada. Alors, il devient difficile de comprendre comment une différence peut tout de même s’unifier avec les choses dont elle diffère. Certes, d’un point de vue strictement juridique, le Québec est une entité opposable aux autres provinces et au gouvernement fédéral, tout en demeurant une partie intégrante du Canada. Toutefois, la déclaration de la nation québécoise ne distingue pas le Québec sur le plan juridique.

La déclaration établit plutôt une distinction culturelle, voire linguistique. Elle élève le Québec à un point qui dépasse le simple fait d’une particularité au sein du Canada. On peut donc se demander maintenant si la culture québécoise occupe une place plus importante par rapport aux autres cultures du Canada, y compris celles des autres francophones. La déclaration semble présupposer que la culture francophone au Canada est limitée aux frontières géographiques du Québec quand, en effet, la francophonie canadienne est beaucoup plus répandue.
On entend souvent que la déclaration n’a aucun poids juridique et qu’elle est pratiquement sans conséquence. Bref, elle détient tout simplement une valeur symbolique pour les Québécois et Québécoises qui souhaitent s’identifier à l’identité nationale du Québec. Quoique la déclaration soit symbolique dans la construction d’une entité distincte québécoise, elle participe à un mouvement qui marginalise l’existence des francophones qui vivent hors Québec.
En effet, il existe plusieurs francophones qui vivent à l’extérieur du Québec. Selon Statistique Canada, 6 817 655 Canadiens se déclarent francophones, dont 5 877 660 au Québec. Environ un million de Canadiens se déclarant francophones vivent donc à l’extérieur du Québec. Parmi eux, 488 815 sont en Ontario seulement.

Ces francophones ne sont pas anglicisés et demeurent fiers de leur identité francophone. M. Théoret atteste que la situation actuelle des Franco-Ontariens « est en plein essor ». M. Théoret rappelle l’existence la loi 8 sur les services en français et la reconnaissance des institutions franco-ontariennes depuis l’avènement de la Charte canadienne des droits et libertés. Les Franco-Ontariens demeurent toutefois marginalisés en raison de leur position géographique.

La situation n’a pas toujours été ainsi. Avant les années 1960, l’identité québécoise à connotation francophone n’existait pas, pas plus que l’identité « franco-ontarienne ». M. Théoret rappelle que « la montée du nationalisme québécois dans les années 1960 a dissous le nationalisme canadien-français. » C’est avec les états généraux des années 1966 et 1969 sur la francophonie canadienne que l’identité québécoise à connotation francophone a vu ses débuts. À la suite de cette transformation, entre autres, les francophones de l’Ontario ont été exclus et se sont vus forcés de s’approprier une autre identité : l’identité franco-ontarienne. Les communautés du reste du Canada ont également développé l’affirmation d’une identité francophone régionale, d’où les expressions telles que « fransaskois », « franco-manitobains ».

Pour reprendre l’exemple des Franco-Ontariens, ceux-ci ont dû créer leurs propres institutions. « Les francophones en Ontario ne pouvaient plus se fier au Québec pour les nourrir culturellement », affirme M. Théoret. Donc, on voit l’émergence d’institutions culturelles telles que le Théâtre du Nouvel-Ontario, la Nuit sur l’Étang, entre autres, qui se démarquent par leur origine proprement franco-ontarienne.

En conséquence, il ne semble plus y avoir une francophonie canadienne aujourd’hui, mais plusieurs : les francophones hors Québec et les francophones du Québec. Ces identités se heurtent et il serait peut-être souhaitable que les francophones du Canada puissent s’associer collectivement non pas à la distinction québécoise, mais à la particularité francophone du Canada. Ce dernier discours n’est pas restrictif et il tient compte des réalités historiques qui ont fait en sorte que les francophones du Canada ne vivent pas tous dans les limites géographiques du Québec. Par ailleurs, l’historien Gaétan Gervais soutient que «“l’identité franco-ontarienne” comme “l’identité québécoise”, et malgré des ruptures profondes, ne sera jamais que le prolongement de “l’identité canadienne-française”.»

On peut donc se demander quel rôle véritable joue la reconnaissance de la nation québécoise. Certains diront que la déclaration est probablement une tactique électorale du gouvernement Harper destinée à augmenter la popularité de son parti auprès des Québécoises et des Québécois. C’est une hypothèse plausible et démontrable, quoique Stephen Harper ne l’avouerait jamais.  Par ailleurs, M. Théoret précise « qu’une telle déclaration n’aurait jamais vu le jour sous un gouvernement libéral. » Les gouvernements libéraux ont toujours insisté sur la présence des minorités francophones dans le cabinet par l’entremise d’un ministre de cette origine, tandis que le gouvernement conservateur se doit encore de le faire.

Reste que la déclaration participe à un discours de définition nationale d’exclusion des francophones hors Québec. Le Canada se dit bilingue, mais cette particularité n’existe pas fondamentalement pour satisfaire le Québec : elle doit plutôt représenter la véritable diversité francophone du Canada.

Chronologie des points franco-ontariens marquants

1912  Entrée en vigueur de la circulaire qui limite l’enseignement du français : le Règlement XVII.
1927  Mise au rancart du Règlement XVII.
1944  Disparition du Règlement XVII des statuts de l’Ontario.
1947  Entrée en ondes de CHNO-Sudbury, premier poste radiophonique bilingue en Ontario.
1952  Conrad Lavigne fonde CFCL-Timmins, le premier poste de radio de langue française en Ontario.
1955  Entrée en ondes de la première station de télévision française en Ontario : CBOFT-Ottawa.
1967  Le premier ministre John Robarts annonce la création d’écoles secondaires publiques de langue française en Ontario.
1970  Création du Bureau franco-ontarien au Conseil des Arts de l’Ontario.
1973  Première édition de La Nuit sur l’étang, à Sudbury.
1975  Dévoilement à Sudbury du drapeau franco-ontarien (ci-haut).
1976  Première édition du Festival franco-ontarien, à Ottawa.
1978  Première parution de la revue culturelle Liaison.
1984  Création de TFO, la Chaîne de langue française de TVOntario.
1986  Adoption de la Loi ontarienne sur les services en français.
1991  Ouverture du premier collège francophone d’arts appliqués et de technologie en Ontario : la Cité collégiale d’Ottawa.
1994  Premier Prix Trillium de langue française (excellence littéraire).
1997  La Commission de restructuration des services de santé de l’Ontario annonce la fermeture de l’hôpital Montfort (ci-dessous).
1998  Création de huit conseils scolaires catholiques de langue française et de quatre conseils scolaires publics de langue française.
2001  SOS Montfort gagne sa cause en Cour d’appel de l’Ontario ; le gouvernement ne conteste pas ce jugement à la Cour suprême du Canada.
2003  Premier téléroman franco-ontarien : Francœur (TFO).

Source : http://​www​.francoqueer​.ca/​h​i​s​t​o​i​r​e​1​.​htm


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