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Les bagnoles de Godbout

L’auteur québécois Jacques Godbout faisait paraître, à la fin octobre, son « Autos biographie ».

L’auteur québécois n’a toujours pas succombé à la crânerie, car on saurait difficilement faire plus humble comme oeuvre autobiographique. Le concept du livre est simple. Godbout se raconte à travers les mille et une voitures qu’il a conduites (ou a été incapable de conduire), aimées, vues, ou abominées. Son premier chapitre est consacré à son tout premier véhicule, un modeste landau anglais. Son dernier annonce son ultime voiture, un « fourgon funéraire ». Il offre, dans l’intervalle, vingt-quatre chapitres et quelque vingt-quatre bagnoles différentes. 

On y trouve, entre autres confidences, quelques heureux moments passés avec son grand-père à regarder les paysages se profiler à l’arrière d’une « magnifique voiture noire aux ailes profilées », de brèves conversations entretenues avec Robert Bourassa, ami d’enfance, assis au fond des autobus du boulevard, ses idées de franciser l’armée qui ont germé derrière la roue d’un camion militaire, son premier achat automobile en Éthiopie, les souvenirs partagés avec Gérald Godin sur les sièges avant d’une pimpante Chevrolet…

Il effleure aussi, en quelques mots, son passage à l’Union des écrivaines et des écrivains québécois, faisant abstraction du fait, peu banal, qu’il l’ait mise sur pied en plus d’en avoir assuré la toute première présidence. Il y mentionne aussi, superficiellement, qu’«écrivain, [il a] publié poèmes, romans et essais », sans pour autant faire valoir sa carrière sur les ondes de Radio-Canada, ni souligner qu’il a éminemment influencé le Québec de la Révolution tranquille par la publication de ses essais, ou encore qu’il a écrit dix romans et reçu quelque quinze prix honorifiques. Il n’a pas utilisé Autos Biographie pour se mettre en valeur, c’est le moins que l’on puisse dire. 

À ce sujet, l’auteur a livré à La Presse, lors d’une entrevue, qu’il a volontairement fait abstraction des périodes de sa vie qui furent, à son avis, suffisamment médiatisées. Il fait alors allusion, entre autres, aux deux périodes référendaires qu’il a vécues et qui ont été suivies de près. Il affirme d’ailleurs avoir couvert l’événement dans son roman Les Têtes à Papineau. « Je n’allais pas reprendre ça sous une forme brève », indique-t-il. Brièveté, le mot est bien choisi pour définir le contenu biographique de l’oeuvre.

Autos Biographie est une oeuvre imagée, au sens figuré certes, mais d’autant plus au sens littéral. Empruntant à l’esthétique « pop art », on y retrouve plusieurs dizaines d’images de Rémy Simard, souvent d’automobiles et toujours réussies. Pourtant, plusieurs se seraient plu à en troquer quelques-unes contre quelques lignes supplémentaires, question de passer du « divertissement littéraire » que promet la quatrième de couverture à une oeuvre biographique plus étoffée. 

D’ailleurs, l’analogie que l’autobiographe entretient tout au long du livre enivre, souvent jusqu’à obnubiler le lecteur. La lecture requiert du destinataire beaucoup de concentration pour ne pas perdre la route et se laisser tenter par la lecture au premier degré. Quand Godbout lâche enfin la roue de son entreprise automobile et s’écarte de son fil conducteur, on a l’impression d’avoir l’occasion de le connaître davantage. Il sait guider les lecteurs jusqu’aux confins de la Turquie qu’il a respirée et du seizième arrondissement de la capitale française, pourvu qu’il sorte de ses voitures. Il est étouffant pour un lecteur de tout voir à travers la vitre teintée de ses mémoires. 

Il n’en reste pas moins que le tout est délicieux. On tourne la dernière page non sans ressentir le pincement au coeur qu’offrent toutes les fins heureuses de contes de fée. Elle aura une odeur de gazoline, mais elle ne vous aura assurément pas asphyxié. Un bonbon simplement un peu trop sucré pour que l’on puisse goûter sa saveur originale. 


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