Aller au contenu

Vers une nouvelle guerre froide ?

 Alors que la campagne électorale s’intensifie aux États-Unis, les relations entre l’hyperpuissance et la Russie s’enveniment. « La Russie est en train de prendre un aller simple pour l’isolation et la marginalisation », a menacé Condoleezza Rice, condamnant l’attitude de ce pays lors du conflit avec la Géorgie. Le Kremlin a été irrité par cette déclaration qui, selon lui, prouve le refus américain de reconnaître l’existence de puissances non-alignées sur les États-Unis. Ce regain de tension autour du dossier géorgien témoigne d’une dynamique plus large qui voit plusieurs puissances régionales profiter des difficultés du « globocop » américain pour s’affirmer.

Pour le président russe Dimitri Medvedev, l’intervention de son pays en Géorgie est en partie la conséquence des provocations de l’OTAN. Plusieurs anciens États satellites de l’ex-Union soviétique ont demandé à joindre l’organisation. « Qu’a fait l’OTAN, qu’a‑t-elle garanti ?  Elle a seulement provoqué le conflit. Voilà tout », affirme Medvedev, qui n’hésite pas à parler d’un « rideau de fer »  installé par l’Occident autour de la Russie. La diplomatie russe nie toute volonté impérialiste et affirme simplement défendre ses intérêts. Le président Medvedev s’est montré particulièrement clair dans un discours prononcé à l’occasion du septième anniversaire du 11 septembre, en  affirmant être prêt à coopérer avec les États-Unis dans la guerre contre le terrorisme. Et d’ajouter : « Nous pensons que [cette guerre] est beaucoup plus importante pour les États-Unis que de développer leurs relations avec des régimes corrompus et militairement aventureux », toujours en référence à la Géorgie.

Cette affirmation de la Russie sur la scène internationale est d’autant plus forte qu’elle survient au moment où les États-Unis sont affaiblis. Leur perte de crédibilité résulte à la fois de l’anti-américanisme ambiant et des difficultés que l’armée américaine rencontre en Afghanistan et en Irak. La démission, la semaine dernière, d’un quatrième procureur militaire à Guantanamo Bay n’a fait qu’aggraver l’image internationale, déjà entachée, de l’hyperpuissance. Ce procureur, Darrel Vandeveld, accuse les responsables militaires d’avoir détruit des preuves qui auraient pu disculper un prisonnier, mais il ne dispose d’aucun document pour soutenir cette affirmation.

Cette démission se produit alors que de plus en plus de civils sont tués en Afghanistan. Un rapport de l’ONU annonce que le mois d’août 2008 a été le plus meurtrier en Afghanistan depuis la chute des talibans, sept ans plus tôt. D’après ce même rapport, 1445 civils auraient été tués entre janvier et août 2008, soit 39 p. cent de plus qu’à la même période l’an dernier. Les députés afghans ont organisé des manifestations pour exiger qu’il y ait moins de décès de civils. Même si cette même étude de l’ONU indique que 35 p. cent des civils sont tués sous les feux des talibans, l’opinion publique continue à associer ces morts avec la présence des troupes de la coalition menée par les États-Unis.

Les talibans se réfugient à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan qui assiste aux affrontements les plus violents aujourd’hui. Un assaut terrestre américain en territoire pakistanais sans autorisation officielle d’Islamabad avait révolté les autorités le 3 septembre dernier. Depuis cet épisode, les tensions sont retombées et les responsables pakistanais se sont engagés à mener plus d’actions contre les talibans de leur côté de la frontière. Ainsi, ce n’est pas moins de mille militants talibans et membres d’Al-Qaeda que l’armée pakistanaise revendique avoir tués vendredi lors d’un combat de grande envergure. Aucune autre source ne confirme toutefois ces allégations. « À la situation fragile en Afghanistan s’ajoute l’instabilité au Pakistan », résume Sir Lawrence Freedman, spécialiste en défense au King’s College de Londres. Interrogé par la BBC, il ajoute que « la situation économique périlleuse des États-Unis s’accorde maintenant à leur situation militaire périlleuse. (…) Cependant, malgré l’opinion habituelle selon laquelle la puissance internationale glisserait des États-Unis vers l’Asie, aucun autre pays ne dispose de la même expérience ou du même réseau de partenaires. »

Ce réseau de partenaires est précisément celui que le gouvernement russe dénonce. Avec la présence de la Pologne au sein de l’OTAN et les demandes d’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine, la Russie se retrouverait petit à petit entourée d’alliés des États-Unis. L’installation d’un bouclier antimissile américain en Pologne est perçue par Moscou comme une provocation supplémentaire. Au mois d’août, Condoleezza Rice signait avec les responsables polonais un accord aboutissant à l’installation de dix missiles destinés à intercepter une éventuelle frappe nucléaire étrangère avant que celle-ci n’atteigne sa cible. La Russie, inquiète de voir sa puissance de dissuasion nucléaire annihilée par cet armement, a immédiatement réagi. Gen Nikolai, le commandant de la force stratégique des missiles russes, a annoncé à la presse que les installations du bouclier antimissile « pourraient être choisies comme des cibles désignées pour certains de nos missiles ballistiques intercontinentaux ». La semaine dernière, Medvedev a demandé le lancement d’un plan de modernisation de son arsenal nucléaire d’ici 2020. L’un des buts à peine voilé de ce programme est de se doter de missiles pouvant déjouer le bouclier de l’OTAN. Il insiste cependant pour dire qu’il ne recherche ni « l’isolation ni, Dieu nous en préserve, une course aux armements. »

La Russie tente elle aussi de développer son réseau d’alliances. L’exemple le plus frappant est la rapidité de l’actuel rapprochement qu’elle connaît avec le Vénézuela. Les deux états se ressemblent surtout par leur opposition aux États-Unis, bien plus que par leurs lignes politiques. Après l’arrivée de deux bombardiers russes Tu-160 au Vénézuela ce mois-ci, des navires de guerre russes sont en route vers les Caraïbes afin d’effectuer des manoeuvres conjointes avec la marine vénézuelienne en novembre. Leur coopération économique connaît aussi une accélération rapide. Le président vénézuelien Hugo Chavez, lors de sa troisième visite en Russie en trois mois, a signé la semaine dernière un accord permettant la collaboration d’entreprises pétrolières et gazières des deux pays. Le Vénézuela, déjà premier client étranger des armements russes, devrait en acquérir pour une valeur de quatre milliards de dollars supplémentaires à la suite de cette rencontre. Enfin, la Russie est volontaire pour aider au lancement d’un programme nucléaire civil vénézuelien. L’idée d’Hugo Chavez est essentiellement d’affaiblir les États-Unis pour imposer un « monde multipolaire ».

Ce monde multipolaire n’est plus incarné par l’ONU, dont l’influence est remise en question depuis la guerre en Irak, menée malgré les résolutions et malgré l’absence d’armes de destruction massive.  Le dossier iranien nécessite cependant un accord international. Le conseil de sécurité de l’ONU a voté cette fin de semaine une nouvelle résolution concernant le nucléaire iranien. Si celle-ci condamne le programme nucléaire, aucune nouvelle sanction n’a été votée. La Russie s’y oppose en effet fermement. Le représentant russe à l’ONU, Vitaly Churkin, estime en effet que la période n’est pas favorable à de nouvelles sanctions. Lors du débat entre les candidats à la Maison-Blanche, la semaine dernière, John McCain a proposé la création d’une « ligue des démocraties » permettant d’imposer des sanctions à l’encontre de l’Iran sans être confronté au veto russe.

Les deux candidats condamnent l’attitude de la Russie en Géorgie. Le premier ministre russe, Vladimir Poutine, avait laissé entendre que le conflit géorgien aurait été provoqué par des ressortissants américains voulant avantager l’un des candidats à la présidence. S’il est probablement trop tôt pour parler d’une nouvelle guerre froide, il reste que les relations entre les deux pays demeurent particulièrement tendues. L’affaire Viktor Pout en est un des multiples exemples. Ce trafiquant d’armes russe, arrêté en Thaïlande par des agents américains se faisant passer pour des terroristes, est accusé d’avoir fourni 700 missiles sol-air aux FARC, entre autres crimes. L’agence de presse russe Itar-Tass souligne que « le Russe a été détenu au cours d’une opération dirigée par les États-Unis ». Cette même agence rapporte que la Douma a émis un communiqué dénonçant une tentative de « porter préjudice aux intérêts et à la réputation de la Russie ». Les députés russes précisent : « Il est nécessaire d’intensifier nos efforts pour assurer les droits du citoyen russe Viktor Bout, empêcher son procès illégal et le ramener dans son pays, tout en limitant les tentatives d’utilisation de cette affaire contre la Russie. »


Articles en lien