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Sous l’éclat de la Chine moderne

Made in China. De nos jours, il semble impossible qu’un objet n’ait pas subi une influence chinoise ou, du moins, qu’il n’ait pas un quelconque lien avec ce grand pays de l’Orient. Du boycott des produits fabriqués en Chine jusqu’aux Jeux olympiques de Pékin, la Chine est porteuse de polémique.

Pour la rentrée, la Cinémathèque québécoise offre une programmation rafraîchissante : des oeuvres de plusieurs cinéastes émergents, de même que l’intégrale des films de Jia Zhang-ke, l’un des plus importants cinéastes de moins de quarante ans à l’échelle internationale. Vous croyez connaître la Chine ? C’est le moment de vous mettre à l’épreuve.

Le projet est en préparation depuis plus d’un an et a pris une ampleur inimaginable. Après la recherche et le visionnement d’un nombre gargantuesque de films, certains à partir de la copie du réalisateur lui-même ou d’oeuvres censurées, la Cinémathèque québécoise présente une programmation alléchante. Elle se divise en différents volets : un volet historique, un autre rassemblant toutes les oeuvres de Jia Zhang-Ke, de même qu’un troisième, appelé « Nouvelles voix », regroupant plus de trente films, tant des oeuvres de fiction que des documentaires, tous produits par de jeunes cinéastes.

L’une des raisons pour lesquelles cette programmation s’avère particulièrement importante est que la Chine, bien que certains veulent l’ignorer, n’est pas un pays parmi tant d’autres. Elle se développe de plus en plus rapidement et acquiert un rôle de plus en plus important sur plusieurs plans, allant de la politique à la culture. Il semble alors urgent de connaître ce pays et, par ces films offerts par la Cinémathèque, d’en découvrir un aspect nouveau, qui demeure parfois dans l’ombre.

La censure très stricte imposée à la culture en Chine n’est pas une nouvelle qui surprend. Mais sait-on vraiment pourquoi ? L’une des raisons, soulève Érik Bordeleau, doctorant à l’Université de Montréal qui travaille sur l’anonymat et la résistance politique, est que la Chine veut préserver une seule image d’elle-même : celle d’une Chine moderne. Un exemple particulièrement éloquent : le film Mission impossible 3 a été interdit en Chine sous prétexte qu’il n’offrait pas une image moderne de Shanghai, puisqu’on pouvait y voir des vêtements accrochés aux fenêtres ! L’objectif de la programmation de Chine Cinéma est donc de dévoiler l’image d’une Chine autre, de la Chine vue à travers les yeux de ces jeunes réalisateurs dits de la sixième génération. Ces derniers sont ainsi nommés parce qu’ils sont la sixième génération de diplômés de l’Université de cinéma de Pékin, plus connue sous le nom de la BFA, la Beijing Film Academy.

Durant la Révolution culturelle, qui se produisit de 1965 à 1976 et pendant laquelle toute la hiérarchie fut remise en cause, notamment celle du Parti communiste chinois, aucune production cinématographique n’était permise. Certains sont d’avis que cette révolution n’avait de révolutionnaire que son nom, et qu’elle aura finalement permis à Mao Zedong de reprendre le contrôle du PCC. Malgré cela, le désir d’éradiquer les valeurs traditionnelles qu’elle a manifesté a été une inspiration pour de nombreux « mai 1968 » un peu partout dans le monde.

À la suite de la Révolution culturelle, vers le début des années 1980, les films dits de la cinquième génération ont vu le jour. C’étaient des films plus nationalistes, dont l’objectif était de rendre hommage à la mémoire collective. La cinématographie de la sixième génération, pour sa part, s’oppose et se démarque des cinéastes précédents en offrant l’image d’une Chine noire, obscène, et remplie de diversité. Sa production est dite underground et l’actualité y devient un enjeu politique. Ces jeunes cinéastes se donnent pour mission de témoigner de la mutation ultra-rapide de la Chine des dernières années. Leur style se veut alors plus vif, indice d’une mondialisation névralgique. Ce cinéma d’auteur, ou indépendant, lutte également contre le cinéma chinois plus « hollywoodien », dans lequel les actions se succèdent mécaniquement, et qui entretient l’image embellie d’une Chine moderne.
D’abord, une série de dix films prêtée par la China Film Archive seront présentés tous les dimanches à 17h, jusqu’au 30 novembre, à la Cinémathèque québécoise. Ces titres sont considérés comme des classiques du cinéma chinois et couvrent les années 1922 à 1989. Cette programmation permet ainsi un survol du travail de plusieurs générations de cinéastes..

En outre, afin de mieux saisir la vision propre à la sixième génération d’artistes, la Cinémathèque nous offre une rétrospective de l’œuvre cinématographique d’une de ses figures saillantes, Jia Zhang-Ke. Ce volet, intitulé « Jia Zhang-Ke : le néoréalisme réapproprié », montre ce dont le réalisateur s’inspire auprès premiers cinéastes néoréalistes italiens tels que De Sica et Rossellini et comment il les dépasse. Comme chez ses prédécesseurs, Jia Zhang-Ke fait ses tournages à l’extérieur, avec un éclairage naturel, et souvent avec des acteurs amateurs. Né en 1970 dans la petite ville de Fenyang, dans la province de Shangxi, Jia Zhang-Ke tourne son premier film, Pickpocket, à l’âge de vingt-sept ans. Ce film, ainsi que Platform et Plaisirs inconnus (Unknown Pleasures) n’ont pas obtenu l’autorisation d’être projetés en Chine. Ce sont des œuvres dites « clandestines ».

En fait, les choses ont changé après les événements violents du 4 mai 1989 de la Place Tian’anmen, où des jeunes ont été réprimés alors qu’ils étaient venus fêter l’anniversaire du triomphe de l’insurrection communiste et réclamer moins de corruption et plus de démocratie. Les cinéastes de la génération de Jia Zhang-Ke ont ensuite cessé de soumettre leurs films à la censure afin d’éviter d’être mis au ban, et leurs œuvres ont été déclarées clandestines. Toutefois, depuis le début du vingt-et-unième siècle, la popularité et le respect dont bénéficient les films de Jia Zhang-Ke ont incité le gouvernement chinois à assouplir la censure, par souci de protéger le marché domestique des films.

Le style de Jia Zhang-Ke se démarque par un réalisme accentué, et crée une atmosphère d’urgence. Sa démarche est documentaire parce qu’il choisit souvent de reprendre des thèmes actuels. Pickpoket, Platform et Unknown Pleasures, par exemple, sont trois œuvres axées sur la jeunesse au Shangxi, une province appauvrie par les faillites de nombreuses entreprises d’État. Ces films révèlent ce qui se cache derrière l’éclat moderne de la Chine actuelle : une grande partie de la population qui souffre de l’intégration du pays dans le marché mondial. Le capitalisme se veut totalitaire et contrôlant, et les images utilisées pour le dénoncer sont noires et suffocantes. Jia Zhang-Ke brise l’image d’une Chine illuminée que le cinéma chinois grand public continue d’alimenter. Il nous donne accès à une réalité chinoise toute différente. La lenteur du récit et l’objectivité de la caméra laissent tout de même émaner des émotions qui ne nous sont pas inconnues, de même que la rapidité des changements vécus. La dimension parfois fantastique ou surréelle des films évoque une destruction démesurée, conséquence de l’émergence de la Chine dans la modernité et l’impossibilité de croire en l’état actuel des choses. Le plan fixe, une signature propre à Jia Zhang-Ke que l’on retrouve également chez Hou Hsiao-hsien et chez Ozu, de même que l’angle détaché, laissent parler la caméra et suscitent chez le spectateur un fort sentiment de compassion. C’est ainsi que Jia Zhang-Ke fait parler les ombres qui se cachent sous la Chine.

Malheureusement, tous les films du jeune cinéaste ont déjà été projetés, excepté Platform, un film produit en 2000 et auquel vous pourrez assister le 28 septembre à 19h. Jia Zhang-Ke y suit une troupe de théâtre ambulante dont le destin reflète celui d’une grande partie de la population chinoise, qui évolue sous l’effet de changements socio-économiques massifs. Le film débute en 1979 avec des numéros idolâtrant Mao Zedong, et se termine dans les années 1980. Des chansons populaires de cette période marquent le passage du temps.

Il est également intéressant de noter que le film The World a été le premier film de Jia Zhang-Ke à être diffusé publiquement en Chine en 2004. Pour sa part, le film Still Life devient en 2006 lauréat au Festival de Venise. Pour ceux qui voudraient découvrir son œuvre, une bonne partie des films de Jia Zhang-Ke peut se être emprunté aisément dans les clubs vidéo de répertoire.

Pour ce qui est du volet « Nouvelles voix » de l’événement Chine Cinéma, l’objectif est d’offrir un panorama du cinéma indépendant actuel, et surtout, des films de cinéastes ayant débuté leur carrière à la fin des années 90. Malgré leur diversité, ces films exposent tous le capitalisme sous son angle le plus grossier. Érik Bordeleau, l’un des organisateurs de ce grand projet qu’est Chine Cinéma, a bien voulu offrir au Délit quelques recommandations de films à voir.

Dans les fictions, on nous suggère Love Will Tear Us Apart (1999) de Nelson Yu Likwai,  photographe de Jia Zhang-Ke. Le film met en scène quatre personnages dans diverses situations, et nous montre leurs réactions les uns par rapport aux autres.

Également à voir : Le Mariage de Tuya (2006) de Wang Quan An, qui a remporté l’Ours d’or au Festival de Berlin en 2007. Le film raconte l’histoire d’une mère de deux enfants en bas âge, dont le mari, après un accident, devient incapable de subvenir aux besoins de la famille. Le couple décide alors de divorcer afin que la femme puisse se remarier et trouver un homme qui l’aiderait dans le travail familial. L’action se passe dans les paysages froids et isolés de Mongolie qui contrastent avec la charge émotive du récit.

Pour sa part, Night Train (2007) de Diao Yinan est l’histoire vraie d’une femme en quête de l’amour. Elle a cependant un emploi bien particulier : bourreau. Le film est chargé d’une tension et d’une lourdeur qui interpellent profondément le spectateur. Night Train est probablement l’un des films les plus faciles d’accès par son intrigue plus articulée que certains autres films indépendants.

Dans The Other Half de Ying Liang, une avocate reçoit plusieurs clientes qui la sollicitent pour leur divorce et viennent témoigner des difficultés de leur relation. Le film  rappelle une certaine esthétique documentaire malgré l’usage d’une caméra subjective par moments. M. Bordeleau le qualifie de  « vivant » et de « cru ».

Suzhou River (2000), du réalisateur Lou Ye, est quant à lui un incontournable de la sixième génération qui dresse un portrait de Shanghai sous l’angle d’une caméra subjective,. Summer Palace (2006), du même cinéaste, est une œuvre à voir absolument, notamment parce que ce film a été la cause de la censure imposée à Lou Ye, qui l’a présenté sans permission officielle au Festival de Cannes. Cela a valu à Lou Ye a écopé une interdiction de filmer pour une période de cinq ans.

Du côté des documentaires, Crime and Punishment (2007) de Zhao Liang nous amène dans les coulisses des forces militaires et législatives. On y observe le contrôle et les abus qu’y exerce la Chine, parmi lesquelles les images choquantes d’un homme battu pendant vingt minutes dans un poste de police.

Meishi Street (2006), de Ou Ning et Zhang Jinli, dévoile une conséquence cachée des Jeux olympiques de 2008. De nombreux habitants ont dû quitter leur résidence pour que des demeures de luxe soient érigées pour l’événement. Ces habitants ont quitté leur maison avec en poche un dédommagement établi à partir de la valeur immobilière de 2000, alors que la Chine était dans une toute autre situation.

Blind Shaft (2003) et Blind Mountain (2007), deux films du cinéaste Li Yang, illustrent bien l’urgence et le désespoir ressentis par la population sous l’effet parfois désillusoire de la croissance de la Chine. Dans Blind Shaft, deux mineurs planifient l’assassinat d’un confrère et de faire passer le meurtre pour un accident. Ils espèrent ainsi soutirer de l’argent au patron, qui souhaite garder l’affaire sous silence. Blind Mountain, propose quant à lui l’histoire d’une femme vendue à un homme habitant seul dans la montagne. Ces deux films, quoique fort différents, montrent des effets et conséquences de l’évolution de la Chine qui sont souvent négligés.

La Cinémathèque québécoise nous offre donc un large tableau des œuvres cinématographiques néoréalistes de la Chine des dernières années. Les jeunes réalisateurs qui y sont représentés exposent une Chine souffrante, à la recherche de nouvelles valeurs morales et sociales. La programmation de Chine Cinéma interpelle, et traite d’un sujet qui nous a tous touchés : la mondialisation.
Pour une description des différents volets et des films présentés, ainsi que pour l’horaire des représentations, consultez le www​.cinematheque​.qc​.ca/​a​f​f​i​c​h​e​/​c​i​n​e​-​c​h​i​n​e​.​h​tml


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