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L’Art-spectacle de Dead Obies

Le groupe de rap québécois produit son album au Centre Phi.

Joachim Dos Santos

Du 14 au 16 octobre 2015, avait lieu l’enregistrement du nouvel album de Dead Obies, un groupe québécois composé des rappeurs Jo RCA, Yes McCan, Snail Kid, 20some, O.G. Bear, et VNCE. Les six artistes poussent si loin la notion de rap et la dimension de spectacle, qu’ils accueillent le public au cœur même du processus de création de leur album. Après le succès de l’excellent  Montréal $ud en 2013, le groupe est venu tenter – et réussir – un coup de plus dans le rap québécois. 

Joachim Dos Santos

Les rappeurs ont donc donné trois concerts au Centre Phi, qui ont aussi servi de phases d’enregistrement pour leur prochain album, prévu pour l’hiver 2016. Ce dernier sera donc créé à partir d’un concept original, puisqu’il aura été enregistré en présence d’une foule d’amateurs qui ont eu l’air d’apprécier le moment. Les spectateurs ont participé presque malgré eux au processus de création de Dead Obies qui n’était donc pas uniquement en  représentation mais bien en présentation de son art.

Depuis Montréal $ud, Dead Obies cherche à dépasser la simple dimension musicale du rap. En effet, l’album était accompagné d’un livre écrit par les artistes expliquant toute la démarche esthétique, artistique, voire politique de l’œuvre. La sortie de l’album était aussi accompagnée d’une web-série à l’esthétique très précise : 4:20. Quant au site web officiel du groupe, il semble tout droit sorti de ce que le pire des premières années d’Internet a su donner, ce qui en dit long sur la conception décalée et aventureuse que le groupe développe dans son art. 

Surprise de la mise en scène

La scénographie était volontairement organisée comme un grand spectacle. Une toile translucide jetée entre la scène et le parterre, d’où étaient projetées des images qui rendaient l’aspect visuel du concert intéressant. L’esthétique n’était pas seulement musicale mais aussi visuelle, photographique et filmique. Avant le concert, des extraits du documentaire La Société du Spectacle de Guy Debord interrogeaient le spectateur sur sa condition dans un environnement où tout n’est que spectacle. Dead Obies, inspiré de loin par le  marxisme situationniste, a alors présenté un méta-spectacle qui interroge son rôle dans l’art et qui vient – peut-être –  désaliéner le spectateur en l’intégrant à la création artistique. 

Un méta-spectacle […] qui vient – peut-être – désaliéner le spectateur en l’intégrant à la création artistique.

Plus que du rap, Dead Obies vient pratiquer ce qui s’apparente toujours plus à une forme d’art contemporain, conceptuel et varié, qu’ils aiment eux-mêmes à appeler le post-rap. Ce concept assez flou semble définir une nouvelle manière de concevoir le rap qui se caractérise par une diversité accrue des productions, des styles, des rythmiques et des thèmes au même titre qu’une vision inédite du rap comme nouvel art. Le post-rap peut ainsi être entouré de constructions artistiques, philosophiques et sociales plus robustes (c’est cette définition-là qui sied à la démarche de Dead Obies). 

L’aventure musicale

Musicalement, le producteur et beatmaker VNCE est à saluer. La finesse de ses productions permet aux rappeurs de développer et de montrer l’éventail de leurs morceaux en toute liberté. Sont présentes les références pop et les résonnances du dirty-south (l’alter-ego du Montréal Sud, où les rappeurs ont grandi, judicieusement baptisé le “Sud Sale”). On remarque aussi la connaissance indiscutable des classiques. La présence de choristes et de quatre musiciens (basse, batterie et synthétiseurs) qui soutiennent et amplifient les productions de VNCE permettent aux cinq rappeurs de s’aventurer même hors du rap. Les refrains chantés, l’utilisation de vocalises caractéristiques (des râles et des accentuations utilisés comme gimmicks, par Jo RCA notamment) ou encore la présence de sons qui se rapprochent de la pop, et même de sifflements, viennent modérer le côté « répétitif » du rap si contesté par ses détracteurs. 

Dead Obies se pose clairement en tête de pont du rap québécois, amenant un renouveau exceptionnel en la matière tout en développant une esthétique, des problématiques et une dynamique propres au rap canadien francophone. Une dynamique que l’on se plaît à imaginer comme le moteur d’un courant artistique particulier, à travers l’émergence d’une école du rap, propre au Québec et en phase complète avec notre époque. 


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