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Le marxisme est un individualisme

Liberté et égalité vont de pair. 

Matilda Nottage | Le Délit

L’actuelle campagne électorale canadienne, tout comme les précédentes, peut être perçue comme un affrontement de valeurs entre une droite qui favoriserait la liberté individuelle et une gauche qui contraindrait cette liberté, au nom d’une plus grande égalité. Liberté et égalité seraient ainsi dans un rapport conflictuel, l’une ne pouvant s’accomplir qu’au détriment de l’autre. Cette opposition, intériorisée par les partis de gauche eux-mêmes, ne va cependant pas de soi. Karl Marx, le grand théoricien du socialisme, auquel remontent de façon plus ou moins directe et assumée les partis de gauche d’aujourd’hui, propose ainsi une grille de lecture entièrement différente : à l’inverse de ce que l’on dit souvent à son sujet, Marx voit dans l’égalité non pas un objectif à atteindre qui remplacerait la liberté mais plutôt la condition à sine qua non cette dernière.

Libéralisme anti-libertés

En effet, pour Marx, le libéralisme, en postulant que tous les individus sont égaux à leur naissance, nie une réalité de fait : il y a de profondes inégalités économiques qui font que certains n’ont d’autre choix que de proposer leur force de travail, tandis que d’autres héritent des moyens d’acheter cette force. En d’autres termes, et pour reformuler l’idée de Marx, la majorité des individus travaille car elle n’a pas d’autres moyens de survie tandis qu’une minorité peut investir les moyens qu’elle a en surplus pour employer ces individus. 

On pourrait peut-être se satisfaire de cet état de fait dans la situation idéale de relations de travail harmonieuses, dans lesquelles le patron viserait d’abord l’intérêt collectif de ses employés. Le problème est que le système capitaliste actuel cherche avant tout le profit et impose à cette fin des conditions de travail aliénantes, notamment à travers un rythme de production effréné. Il prive de ce fait la majorité de la société de toute vraie liberté, atteinte selon Marx, lorsqu’un individu est « auto-actif », à savoir lorsqu’il peut choisir un travail dans lequel il peut se « réaliser », s’épanouir.

Tous pour un 

Aujourd’hui, la majorité des travailleurs est dans une situation de travail aliénante, forcés à atteindre un niveau de productivité toujours plus grand, sans pouvoir espérer choisir un travail où la logique économique serait placée derrière son bien-être. Ainsi, le libéralisme en acceptant la perpétuation du système capitaliste, promeut une fausse liberté, un système dans lequel seuls quelques individus, les plus aisés, peuvent se satisfaire de leur condition. 

Le projet marxiste est donc de planifier une nouvelle organisation de la production, plus égalitaire, afin que la dépendance naturelle de chacun à autrui ne soit plus une condition d’asservissement de la majorité par une minorité mais la possibilité pour chacun de trouver un travail libérateur. Le marxisme va donc bien au-delà d’une simple remise en cause des inégalités économiques : il vise plus d’égalité pour permettre à chacun d’avoir les moyens de se libérer.

Ainsi, le marxisme ne prétend pas effacer l’individu au profit du tout, mais il prétend au contraire mettre le tout au service de la libération de chaque individu. Il vise à mettre en place une société dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. Aujourd’hui, il convient donc de rappeler : le marxisme est un individualisme, un courant qui veut plus d’égalité pour permettre à chaque individu d’être réellement libre. La gauche canadienne, tout comme celle européenne, ferait ainsi bien de se rappeler qu’égalité et liberté ne sont pas des objectifs distincts mais complémentaires. 


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