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Rêves de guerre

Jacques Pugin expose Les Cavaliers du Diable pour le Mois de la Photo.

Chloé Mour

« Allez viens, on est bien ! » Voilà ce que ne dirait pas l’exposition de Jacques Pugin sur les dégâts de la Guerre du Darfour. Elle dirait plutôt qu’il est possible d’appréhender la douleur et le mal de manière esthétique.

Dans le cadre du Mois de la Photo de Montréal, divers photographes nous invitent à réfléchir sur un thème plus global que celui de leurs propres expositions : celui de la condition post-photographique. Késako ? La remise en question de l’art photographique face à la sursaturation d’images, de ses canons qui évoluent au fur et à mesure que nous valorisons de plus en plus l’accessibilité à l’image par rapport au contenu de l’image elle-même, et enfin du rôle de l’auteur qui fait face à sa propre évolution en une période de temps minime.

Jacques Pugin est un artiste qui fait valoir son point de vue sur cette évolution dans Les Cavaliers du Diable, présentement au Centre Phi. Il utilise tout d’abord des images qui ne sont pas ses propres clichés mais qui proviennent de Google Earth : le premier pas de l’artiste post-photographique qui admet l’évolution. Ces clichés représentent à l’origine des traces noires sur fond de sable rouge, vestiges des ruines des maisons et des clôtures de villages victimes de guerre civile. En leur appliquant un double-traitement, Pugin transforme ces images de manière singulière. Il retire d’abord les couleurs des photographies puis les inverse : le noir devient blanc et le blanc devient noir, ce qui laisse apparaître des formes à priori incompréhensibles mais qui révèlent finalement leur sens avec plus d’explications.

Pugin explique donc : « D’habitude on fait des photographies de guerre où on montre des gens qui se font tuer, moi je voulais faire une image […] qui représente autre chose, presque des voûtes célestes. » À première vue, c’est en effet l’impression que donnent ces images noires tachetées de lumière. La tête dans les étoiles, on pourrait seulement se dire « c’est beau », se promener pour voir les œuvres les unes après les autres puis repartir en ayant l’impression d’avoir passé une nuit d’été allongé dans l’herbe à contempler le ciel. On pourrait, oui. Seulement chaque image est accompagnée de sa description qui nous ramène aussitôt sur terre. « Lieu : Angabo. Statut : Détruit. Structures détruites : 1000 sur 1000. Année de l’attaque : 2006. » Un frisson très semblable à celui de la première lecture du Dormeur du Val  de Rimbaud, celui qui vous fait froid dans le dos. Ces clichés ne mettent pas fin à l’éternelle réactualisation des problèmes de la guerre mais arment nos questions de sens artistique pour les voir d’une manière différente.

« Tout ce qui était brûlé et noir devient blanc comme le passage du feu symboliquement parlant. » L’engagement de l’artiste par des moyens actuels et la recherche du symbolique sont sans doute deux représentations du nouveau rôle du photographe d’aujourd’hui. La manière dont l’exposition de Jacques Pugin ouvre le dialogue à la fois sur la post-photographie et sur la guerre peut être considérée comme remarquable car elle nous étonne, nous fait rêver mais nous positionne aussi face à l’abîme. 


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