Aller au contenu

Au rythme des saisons

Les artistes Avril Jensen et Erwan nous plongent dans une odyssée introspective au gré des solstices.

Leili Cossu | Le Délit

Les artistes Avril Jensen et Erwan nous plongent dans une odyssée introspective au gré des solstices.

Le meilleur remède au froid de l’automne montréalais se trouvait sous les lumières tamisées et l’ambiance enfumée du Verre Bouteille le 13 novembre dernier. En effet, dans le cadre du festival Coup de cœur francophone, les artistes Avril Jensen et Erwan sont montés sur la scène exiguë de ce bar de la rue Mont-Royal et nous ont raconté les saisons tout au long de performances de haut calibre.

L’auteur-compositeur-interprète Erwan a donné le coup d’envoi de la soirée en nous proposant une programmation musicale qui dépeint un récit initiatique au fil des solstices. Ainsi, au début du concert, ce véritable héritier de Vivaldi nous offre Trop tard, une chanson qui traite de la « lancée de fin d’été » et où l’on sent son désespoir de voir la période estivale s’étioler. Par la suite, il interprète des chansons hivernales, telles que Mes larmes gèlent en hiver, ballade mêlant désenchantement éthéré et blues glacé. Toutefois, il ne nous laisse pas nous complaire dans une froide mélancolie et nous dégivre instantanément avec Un peu de paix. Avant de l’interpréter, il décrit d’ailleurs cette chanson comme un aperçu du début d’été gaspésien, racontant ses grands espaces et ses veillées au bord du feu. Il clôt finalement sa performance avec des chansons inédites, dont une qui relate une soirée de camping estivale pleine d’espoir où les deux protagonistes « ont réalisé [leurs] vœux dans le noir ». Au cours de ce concert, Erwan parvient à nous raconter une année complète où, après des débuts automnaux maussades, on assiste à une décongélation progressive. L’artiste nous rappelle ainsi que « les jours plus sombres sont l’occasion / De préparer [ses] plus beaux bourgeons ».

Avril Jensen, qui monte sur scène après Erwan, exploite elle aussi le monde de la nature et des saisons pour alimenter son écriture. Ainsi, elle nous apprend que son dernier album, Parfois, les jours de vent, est inspiré d’un passage du roman Soie d’Alessandro Baricco : « Parfois, les jours de vent, Hervé Joncour descendait jusqu’au lac et passait des heures à regarder, parce qu’il lui semblait voir, dessiné sur l’eau, le spectacle léger, et inexplicable, qu’avait été sa vie ​​». Tout comme le protagoniste de Soie, Avril utilise la nature comme un reflet de son intériorité. Ainsi, les dissensions qui déchirent son âme sont souvent racontées et mises en mots grâce au relief des saisons : « En regardant la rivière / En attendant l’hiver / J’ai oublié mon nom. » Avril nous révèle par ces paroles que sa quête de sens et son ébranlement identitaire passent par un rapport à la nature. Elle entrelace ses chansons pour développer un fil narratif débouchant néanmoins sur une guérison de ses accablements introspectifs. En effet, le concert se dénoue avec la contemplation maintenant saine de la nature dans Parfois, les jours de vent, où Avril garde « tout l’été quelque part en dedans » et chante « on est sensationnels » en chœur avec le public. 

Avril Jensen et Erwan rejoignent donc une tradition établie d’artistes québécois dont la trame narrative est inspirée par le fil des saisons. En effet, depuis Émile Nelligan et sa fameuse lamentation « Ah ! comme la neige a neigé ! », en passant par l’angoisse des tempêtes dans Le poids de la neige de Christian Guay-Poliquin ou encore les étés tumultueux des Fous de Bassan d’Anne Hébert, l’imaginaire québécois est préoccupé par les grisailles de l’hiver et les vents estivaux.


Dans la même édition