À dix heures, lundi 17 novembre au matin, le téléphone sonne. La voix enjouée de Marie Laberge est au bout du fil. Elle m’explique assez vite que chez elle, la créativité remonte à l’âge de 11 ans, lorsqu’elle écrivait des histoires pour se divertir : « Je reconnaissais évidemment quelque chose en moi qui était une capacité émotive et une sensibilité et je me suis mise à faire du théâtre. » Peu à peu, le monde du théâtre l’a guidée vers l’écriture romanesque qui permet, selon elle, d’explorer une plus grande variété de sujets, comme le désir ou la sexualité : « Tout s’interpelle dans un être humain. Je suis le résultat de toutes mes expériences », me raconte-t-elle.
Le dernier roman de Marie Laberge, Des nouvelles de Martha, publié le 21 octobre dernier, regroupe un échange épistolaire s’étendant sur trois ans, de 2009 à 2011. Il suit une femme de 60 ans, Martha, qui redécouvre sa vie une fois que sa plus jeune fille quitte le domicile familial. L’autrice dit avoir eu recours à la forme épistolaire afin d’accompagner des gens très isolés à travers l’écriture. Toutes les deux semaines, les lecteurs recevaient une lettre de la part de Martha et suivaient son aventure à travers le temps : « Je voulais que le roman arrive chez les gens, pièce par pièce, à leur nom, à leur adresse : ils décachetaient leur roman. Pour moi, c’était comme leur permettre de gagner en proximité et en affinité avec le personnage. » Le genre épistolaire suppose un interlocuteur, mais comment faire face à la binarité de genre de la langue française ? Marie a décidé d’écrire deux lettres à la place d’une : une adressée aux hommes, l’autre aux femmes. « Dès la première lettre, quand j’ai commencé à écrire la lettre des femmes pour accorder les participes passés et arranger les adjectifs pour les rendre au masculin, je me suis dit “ah, non, elle ne le dirait pas comme ça à un homme.” Si on s’adresse à un homme quand on est une femme, on n’ouvre pas son cœur de la même façon ». Marie Laberge explore souvent des personnages féminins sous différents angles dans ses œuvres littéraires, mais elle note que Martha, « comme beaucoup de femmes, a sacrifié sa vie privée et personnelle, ou ses propres désirs qu’elle n’avait même pas pris la peine d’identifier, pour se dévouer à élever trois enfants seule. Chez Martha, il y a une lucidité, une honnêteté qu’elle entretient. Je crois que ce fut ma surprise en l’écrivant, cette forme de courage quotidien de ne pas se leurrer avec des doux mensonges ». Selon sa créatrice, Martha est très résiliente face à la tendance des enfants devenus adultes de vouloir contrôler leurs parents vieillissants : « Elle est capable de mettre son pied par terre et dire “non, ça suffit. Vous ne me contrôlerez pas”. » Malgré l’importance de la trilogie Le goût du bonheur pour Marie Laberge à cause de son immense succès, l’autrice affirme que « tous les romans ont leur lot d’émotions, de souvenirs ; chacun est important pour des raisons différentes, je dis même quelques fois que chacun mène à l’autre ».

