Après 1+1=1 en 2014, le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) et le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) unissent à nouveau leurs forces pour présenter Le confort et l’indifférence, un projet qui met en lumière les acquisitions récentes du MAC effectuées entre 2020 et 2025. Organisée par le MAC et accueillie par le MBAM, cette exposition apporte au grand public 37 œuvres par 22 artistes du Québec.
Le confort et l’indifférence emprunte le titre du documentaire de Denys Arcand (1981) consacré au référendum de 1980 sur l’indépendance du Québec, tout en élargissant le regard : de la passivité d’un électorat attaché au confort matériel individuel, elle s’étend aujourd’hui à une indifférence collective face aux crises mondiales.
Le confort et l’isolement
Parmi les œuvres présentées, certaines explorent « la mémoire, le territoire ou les gestes de soin », tandis que d’autres abordent « les effets de la violence, de la surveillance ou des inégalités structurelles », explique Mark Lanctôt, commissaire de l’exposition et conservateur de la collection du MAC. Si chacune propose une perspective qui lui est propre, leur mise en dialogue dans la salle s’articule autour d’un même sujet : « l’aliénation et la division. »
On peut notamment penser au portrait à l’huile One hit wonder horse town (2022) de Chloe Wise. Une jeune femme se repose la tête sur un paillasson de jute, un welcome mat, et semble perdue dans ses pensées, figée dans un moment d’introspection. Ce repli entre en contraste avec l’univers de la représentation publique. L’artiste, dans la notice accompagnant l’œuvre, évoque d’ailleurs une critique de la culture de l’image et de la mise en scène de soi sur les réseaux sociaux. Souvent, il faut s’accommoder aux attentes sociales du getting along (s’entendre, tdlr) pour préserver l’illusion d’un confort collectif – au prix d’un certain vide affectif.
La frontière où se croisent les regards
Au-delà de l’individu et de ses masques sociaux, l’exposition fait également résonner des préoccupations à une échelle sociopolitique. Tiré de la série Roxham de Michel Huneault, « Sans titre 1 » (2017) illustre des silhouettes de demandeurs d’asile à la frontière canado-américaine, le célèbre chemin Roxham. Ce lieu, fermé de façon définitive à la suite d’une entente entre Ottawa et Washington sous le gouvernement Trudeau en mars 2023, était autrefois un point de passage important pour de nombreux migrants. Dans cette œuvre, Huneault recouvre les silhouettes de tissus superposés, voilant volontairement leurs identités et accentuant le contraste entre la présence humaine, le paysage et la figure de l’agent de la Gendarmerie royale canadienne.
Si la photo seule porte déjà en elle une symbolique incontournable, son emplacement stratégique dans la salle offre un nouveau regard sur son sujet. L’œil exorbité d’A Room is a Thing (2019) de Marlon Kroll, situé en diagonal de « Sans titre 1 », semble planer au-dessus de la tête des demandeurs d’asile. Ce tableau semi-abstrait évoque une certaine « présence corporelle », comme une complétion exagérée en écho à l’absence physionomique des migrants de Huneault.
L’air du lien humain
L’exposition ramène ensuite la réflexion vers la relation humaine, un lien qui unit – ou sépare – les individus et leur environnement. Cette idée traverse notamment la série en verre soufflé de Lorna Bauer, ...air is where effort goes…once our effort is spent…this crowded air… (2021). L’œuvre témoigne à la fois de la recherche continue de l’artiste sur la matérialité du verre et une réflexion quant à « l’emprise de l’humain sur la nature et les contraintes imposées aux corps ». La malléabilité du verre donne à chaque vase une forme irrégulière dans les armatures métalliques, comme notre existence au sein de la société : unique et non reproductible. Notre unicité fait de nous des êtres vulnérables, mais résilients, aptes au changement malgré l’inconfort que ceci peut apporter.
À la fin du parcours, les visiteurs font face à la Thermal Drift Density Map (2022) de Rafael Lozano-Hemmer, une plateforme numérique interactive. Grâce à une caméra thermique, l’installation projette sur l’écran la dispersion des particules de chaleur qui viennent de nous et qui nous entourent. Parfois, les particules de l’un se confondent à celles de l’autre, nous rappelant ainsi que nos liens avec le reste du monde persistent, et persisteront.
En somme, le commissaire Lanctôt souligne que toutes les œuvres de la collection ne sont pas liées aux thèmes du confort et de l’indifférence. Néanmoins, en les utilisant comme « matières premières » de l’exposition, ils leur donnent un regard nouveau sur leurs représentations. De l’image individuelle à la scène collective, le confort ne se trouve jamais vraiment dans l’indifférence ; c’est dans l’inconfort, au contraire, que se loge la possibilité de faire une différence.
Le confort et l’indifférence : acquisitions récentes du MAC est exposé jusqu’au 3 mai 2026. L’entrée au Musée des beaux-arts de Montréal est gratuite pour les 25 ans et moins.



