L’indifférence de la majorité de la population montréalaise face à son obligation démocratique municipale tient de l’idiotie la plus pure. Les chialeux dispersés un peu partout sur le spectre politique s’époumonent sans relâche pour cracher sur l’administration, mais quand vient le temps d’exprimer leur désapprobation démocratiquement, silence radio. La plus récente élection a vu voter seulement 37,1 % des électeurs enregistrés, un pourcentage carrément famélique. Mais pas inhabituel. Pire encore, Ensemble Montréal, grand vainqueur (regrettablement) de ce processus à peine démocratique, a obtenu une majorité grâce à l’appui de seulement 15,7 % des électeurs. 43,4 % des voix. Même pas la majorité de la minorité. Minable.
Dans l’objectif de ne pas être totalement hypocrite, je ne ferai pas de cet article une colonne de vitriol. Du moins, pas totalement. Vous serez obligés de subir quelques paragraphes de plus de ma frustration, mais je vous promets en échange des propositions constructives. Des avenues pour mobiliser la population de manière durable et la conscientiser sur l’importance de l’implication politique au niveau municipal.
Une autre complainte…
Oui, j’ai voté Projet Montréal. Oui, je suis déçu de voir que la métropole du Québec fera du surplace pour les années à venir. En plus, il fallait que ce soit une ressortissante du Parti libéral du Canada. Une Coderre 2.0. Et, bien pire encore, une candidate qui a comme réels intérêts ceux de ses donateurs et des Montréalais les plus riches, réalité qui semble échapper à son électorat de frustrés.
Pour un Montréalais vivant dans le confort et l’indifférence, quelle importance de pouvoir déterminer qui siègera au conseil municipal. Les compétences de l’appareil gouvernemental local sont limitées, si bien que les impacts de sa gouvernance ne sont pas toujours les plus criants. Le triumvirat des enjeux sociétaux majeurs actuels – la santé, l’éducation et l’énergie – sont pris en charge ailleurs, par nos tortionnaires caquistes de l’Assemblée nationale. Pareil pour des compétences en apparence plus locales, comme l’habitation ou le travail, à qui l’influence et surtout le budget incombe aux ministres provinciaux.
Restent quand même les projets d’habitation en partenariat, la voirie et l’urbanisme, le développement économique local, l’entretien des infrastructures publiques, les services de sécurité locale…
Malgré l’influence dissimulée (mais évidente et essentielle) de l’appareil municipal, les plaignards trop paresseux pour agir n’y voient qu’une sorte de génératrice de nuisances. Les routes sont pleines de trous, les maudits cyclistes sont partout, les itinérants encombrent l’entrée de leur tour à condos ! Je ne nierai pas que tous ces enjeux sociétaux représentent des problèmes importants de l’agglomération montréalaise, mais la réponse suscitée tient du non-sens le plus frustrant. On conspue les initiatives de mobilité durable, on refuse la construction de logements transitifs… franchement, décidez-vous ! Voulez-vous chialer pour chialer, ou souhaitez-vous vraiment un quelconque changement ? À en voir les taux de participation, la première option me semble plus plausible.
Étant un gars de l’est de Montréal, je ne peux vous répéter suffisamment à quel point l’absence d’un réseau de transport en commun développé a compliqué et allongé tous mes trajets d’adolescent. À quel point le sous-investissement en infrastructures communautaires et sportives me rendait jaloux des autres arrondissements ! La réalité, c’est que là où la Ville peut avoir le plus d’impact, c’est auprès des plus démunis, des classes populaires et moyennes. Elle peut améliorer un système de transport abordable, favoriser le déplacement à vélo et injecter des fonds dans des secteurs sous-développés de Montréal. Je ne prétends à aucun moment avoir fait partie – dans mon enfance – d’une classe économique modeste ni même moyenne, mais j’ai vécu dans un milieu clairement ignoré, peu importe la personne au pouvoir à l’Hôtel de ville.
« À force de ne rien comprendre, on tombe dans la complaisance, et on nourrit une détestation pour le système, qui réduit encore davantage notre envie d’y participer »
Mais bon, quand on est riche, on se fiche éperdument des bienfaits qu’un HLM peut prodiguer. Ou bien de l’impact d’une piste cyclable sur la mobilité des travailleurs. Tout ce qui importe, c’est que la suspension de la Porsche ne soit pas trop affectée par les trous dans la chaussée en route vers le chalet sur le lac Memphrémagog. Je caricature peut-être, mais force est d’admettre qu’Ensemble Montréal propose un programme orienté vers les propriétaires en tout genre, du logement au véhicule motorisé, qui se sentent lésés quand on les empêche de régner en rois sur le reste de la population. Un programme par et pour les riches, un programme prônant une stagnation du progrès social et le développement d’infrastructures qui pourront bénéficier à la multitude. Un programme qui s’adresse aux geignards nantis frustrés par l’administration Plante. Un programme pour ceux qui préfèrent pérenniser la maudite culture du char plutôt que de rendre la route accessible à tous. Un programme favorisant les propriétaires plutôt que ceux qui peinent à se loger et maintenir une qualité de vie décente.
Et bon, ceux qui sont le plus affectés ne votent pas non plus. Personne ne vote, c’est terrifiant. Presque aussi débile que les amerloques qui votent pour un président qui se fout éperdument d’eux.
Mais tout le monde continuera à se plaindre sans but, peu importe ce qui adviendra de notre ville.
Maudits chialeux !
…mais pas sans substance
Je ne suis pas simplement aigri par la défaite du parti pour lequel j’ai voté. Je suis aigri par le mutisme de la majorité montréalaise quand vient le temps de passer à l’acte. Le gros problème de mon argumentaire, c’est que même ceux qui gagneraient à voir des changements sociaux positifs être effectués ne votent pas. Ou du moins ils ne votent pas « du bon bord » pour que ces changements se matérialisent. Bien que cette apathie électorale puisse être partiellement expliquée par une débilisation du débat autour d’enjeux tenant davantage de l’irritant que de l’essentiel, le blâme est attribuable à de multiples causes.
L’essentiel du problème ? Un manque criant d’éducation citoyenne et médiatique, et un accès au vote trop limité compte tenu de l’intérêt minimal accordé à la politique municipale. À force de ne rien comprendre, on tombe dans la complaisance, et on nourrit une détestation pour le système, qui réduit encore davantage notre envie d’y participer.
Pour stimuler les endormis, il faudrait faire du vote une obligation. À mon sens, il l’est déjà : pour protéger la démocratie, il faut en faire l’exercice. Sauf qu’imposer le vote, sous peine de pénalité pécuniaire, par exemple, ne pourrait que désavantager les personnes les plus vulnérables que je défends. Donc, il faut rendre le vote plus accessible. Solution : allonger la période de scrutin et permettre le vote virtuel. Rien de très révolutionnaire en théorie, mais en pratique, cette méthode tarde à être adoptée par les régimes politiques du monde.
Si les gens ne veulent pas se déplacer pour une élection qui leur semble trop futile et trop peu déterminante, il faut amener l’élection à eux. Je comprends les nombreuses difficultés découlant de l’adoption d’un mode de scrutin virtuel, mais je crois sérieusement que les gains démocratiques pouvant en résulter en valent la peine. 37,1 % de participation, c’est risible ! Il faut donner un grand coup dans le système : l’heure de la fin des demi-mesures a sonné depuis bien longtemps déjà.
Le vote virtuel, s’il est fait de manière complètement désintéressée, n’est pas une victoire à lui seul pour la politique municipale. Les gens – moi, y compris – connaissent mal les structures du pouvoir et les divisions des responsabilités, qui détonnent avec le système électoral classique provincial et fédéral. Une meilleure éducation, par le biais des médias et des institutions académiques, ne pourrait qu’améliorer la compétence électorale des citoyens. Ce n’est pas normal qu’après 16 ans de scolarité, aucun de mes cours obligatoires n’ait abordé le pouvoir municipal.
Si on n’est pas informé, on n’est pas intéressé. Et si on n’est pas intéressé, on n’ira pas voter.
Et si on ne va pas voter, l’éternelle plainte de la population ne cessera de prendre en ampleur, sans pour autant que son action citoyenne y fasse écho. Si les gens ne veulent pas se déplacer ou s’informer, il faut prendre les rênes et préparer notre démocratie en amont. Il faut en prendre soin, sans quoi le système municipal continuera de péricliter vers un système régi par la minorité.
Sortez voter, maudits paresseux !



