Depuis 2006, le Mexique est plongé dans une guerre civile marquée par une lutte acharnée contre le trafic de drogue. Le bilan humain : 450 000 homicides enregistrés en 2024, des centaines de milliers de disparitions et des cas répétés de violations des droits de la personne. Des violences largement attribuables aux cartels, mais aussi à la militarisation de la sécurité publique.
Les populations locales ne sont pas les uniques cibles de ces explosions de violences. En 2011, le Mexique est devenu le corridor de transit le plus emprunté au monde. Ces importants flux migratoires se sont révélés être une source majeure de profit aux yeux des cartels. De ce fait, les migrants sont exposés à de multiples dangers au cours de leur traversée. Les cas d’extorsion, d’enlèvements et d’assassinats sont monnaie courante, et alimentent la peur.
Depuis le début du conflit et l’élargissement du contrôle du territoire par les cartels, les attaques dirigées contre les migrants de transit se sont intensifiées, transformant le pays en un véritable « triangle des Bermudes de l’Amérique latine » selon l’ouvrage de l’anthropologue Wendy A. Vogt, Lives in Transit : Violence and Intimacy on the Migrant Journey. Cette expression employée laisse entrevoir toute la dimension systémique et organisée de ces violences. C’est le « cachuco industry » : construit en parallèle de la guerre des cartels, ce système repose sur un véritable processus de réification qui facilite l’exploitation des migrants. Ces derniers deviennent la proie d’une industrie qui les dépouille de toute humanité, les transformant en une source de productivité dont il faut maximiser la rentabilité. Ils sont désormais réduits à une force de travail, des organes qui peuvent être vendus, un corps qui peut être abusé.
« Les migrants sont exposés à de multiples dangers au cours de leur traversée. Les cas d’extorsion, d’enlèvements et d’assassinats sont monnaie courante, et alimentent la peur »
Parmi les cartels les plus puissants du Mexique figure Los Zetas, fondé à la fin des années 1990. Opérant majoritairement dans la région du golfe du Mexique, il a élargi ses activités à l’extorsion et au trafic d’êtres humains, notamment en organisant des raids contre des trains de marchandises. Il s’agit d’un moyen de transport fréquemment emprunté par les migrants pour effectuer leur transit. Ces attaques reposent sur la complicité du conducteur et, très souvent, des autorités locales. Les acteurs étatiques et non étatiques s’entre-mêlent dans cette exploitation systémique. Les cartels jouissent d’une impunité facilitée par l’incurie de l’État mexicain gangréné par la corruption. N’importe qui peut entretenir des liens avec un cartel comme Los Zetas. De cette présence tentaculaire résulte une incroyable méfiance de la part des migrants. De plus, les rares aides qui leur sont dédiées sont frappées par cette recherche de profit. De nombreux refuges subissent l’influence des cartels : leurs membres infiltrent ces abris à des fins de recrutement et d’exploitation. D’autres acteurs agissent aussi indépendamment, désireux d’en tirer parti. Wendy A. Vogt relate, dans son ouvrage, l’histoire de Mauricio, travailleur social au sein d’un refuge. Il est musicien et se produit régulièrement dans des bars locaux. À l’issue d’une de ses représentations, le patron d’un club de striptease a sollicité son aide pour recruter des danseuses centraméricaines. Une tâche qui serait naturellement rémunérée. Si Mauricio n’a pas accédé à sa requête, cet exemple illustre combien les migrants centraméricains sont vulnérables à bien des égards.
Mais c’est avant tout la criminalisation des migrants qui les rend si vulnérables aux violations des droits de la personne. Loin d’être des cas isolés, ou des dommages collatéraux, ces violences s’inscrivent au cœur d’un système économique et global qui profite de la main-d’œuvre bon marché que sont les sans-papiers. Cette exploitation ne serait pas rendue possible sans le statut d’illégalité imposé par des politiques anti-migrants, qui réduisent la valeur de leur force de travail et, incidemment, leur légitimité au sein de la société. Les médias cultivent cette image de migrants « illégaux » qui représenteraient un danger pour la sécurité du pays, voire la composition ethnique de sa population. Cette illégalité justifie toutes les exactions qu’ils subissent lors de leur passage au Mexique, mais également à leur arrivée aux États-Unis.
« C’est avant tout la criminalisation des migrants qui les rend si vulnérables aux violations des droits de la personne. Loin d’être des cas isolés, ou des dommages collatéraux, ces violences s’inscrivent au cœur d’un système économique et global qui profite de la main-d’œuvre bon marché que sont les sans-papiers »
Les raids du 6 juin à Los Angeles, opérés par la police de l’immigration et des douanes (ICE), ont marqué l’intensification de la répression des sans-papiers dans le pays. Ils illustrent la politique de déshumanisation et de xénophobie portée par l’administration de Trump à l’égard des migrants en situation irrégulière. Relayés sur les réseaux sociaux, de nombreux messages de soutien aux familles de déportés appuient le caractère indispensable de ces individus, peignant l’image de personnes honnêtes et de travailleurs qui contribuent à la vitalité de l’économie américaine. Des économistes confirment : on compte sur le territoire américain huit millions de clandestins qui représentent une force de travail bon marché et flexible, payant à eux seuls 100 milliards de dollars de taxes chaque année. Et s’il est certes important de valoriser leur contribution, la récurrence de ces arguments montre combien nous suivons malgré nous cette logique du profit, comme si la reconnaissance d’un migrant était conditionnelle à son degré de productivité.
Au lieu de parler de profit ou d’utilité, Amnistie internationale part plutôt d’un constat simple. Les migrants sont des personnes disposant de droits, qui méritent d’être protégées et respectées dans leur dignité. L’ONG se réfère notamment à l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, laquelle affirme que toute personne a le droit de chercher asile et d’en bénéficier dans d’autres pays. La question des droits de l’homme doit occuper une place centrale dans la protection des migrants, durant leur transit et durant leur rétention.