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« Ce n’est pas Poly de nous faire payer plus ! »

Journée de grève historique à Polytechnique.

Toscane Ralaimongo | Le Délit

Vendredi 26 septembre, 9h45. Aux quatre entrées de l’Université Polytechnique se font entendre le son des enceintes vrombissantes des étudiants. En approchant de plus près, on aperçoit des dizaines de futurs ingénieurs déjà installés, dans une ambiance solidaire, mais festive. Chaises, tables, pancartes, nourriture… tout est prévu, depuis six heures du matin, pour leur permettre de rester la journée entière devant les portes ; il n’y aura pas cours aujourd’hui.

« Je ne suis pas un portefeuille » 

Cela fait presque un mois que le corps étudiant proteste face à une mesure du conseil d’administration visant au « retrait progressif de la bourse compensatoire liée aux crédits de stages obligatoires ». Polytechnique impose en effet un stage à tous ses étudiants, qui n’est « pas imposé par le Bureau canadien d’agrément des programmes de génie », comme le rappelle Gabriel Comby, président de l’Association étudiante de Polytechnique (AEP). En 2013, ce stage est passé de 3 à 9 crédits, augmentant largement les frais d’étude associés (de 704 $ à 1 275 $ pour les étudiants québécois, et de 1 345 $ à 3 201 $ pour les Canadiens non-québécois, Français et Belges francophones). Pour pallier cette augmentation, l’Université a mis en place une bourse compensatoire, qu’elle prévoit maintenant retirer progressivement sur une période de deux ans.

Les polytechniciens craignent que cette réforme ne les mette en forte difficulté financière. Gabriel Comby affirme : « La population étudiante n’est pas un portefeuille, elle n’a pas des ressources infinies ; il y a beaucoup d’insécurité alimentaire, de difficultés à payer les loyers… Les étudiants en arrachent et ne peuvent pas payer ces frais supplémentaires. » Anaïs, étudiante française en année préparatoire, a confié ses inquiétudes au Délit : « J’avais déjà prévu tout mon budget, avec la bourse. Cette réforme nous met en difficulté, moi et mes parents qui m’assurent derrière. »

Retour sur les négociations 

L’administration n’a pas manqué de réagir à la mobilisation étudiante. D’après Pierre Langlois, directeur des affaires académiques et de l’expérience étudiante de Polytechnique, « [l’Université, ndlr] a fait énormément de concessions : rendre la réforme graduelle, maintenir la bourse sur les deuxième et troisièmes stages dans les programmes où ils sont obligatoires, ramener le montant payé par les étudiants internationaux à celui des canadiens non-québécois… ». Langlois explique que la mesure « a pour but de dégager des fonds, et d’améliorer l’expérience étudiante avec des projets structurants. On veut également réaligner les revenus [de Polytechnique] avec la réalité des coûts de la formation d’ingénieur. Personne n’aime voir sa facture augmenter ; c’est normal et compréhensible. Mais c’est une augmentation d’environ 4 % pour les étudiants québécois, qui doit être mise en perspective avec les très grands revenus que peuvent apporter les stages, allant parfois jusqu’à vingt mille dollars au total ». 

La dernière tentative de négociation date du mercredi 24 septembre. Le conseil d’administration a alors proposé de repousser le retrait de la bourse aux futurs étudiants de Polytechnique, à condition que la grève soit annulée. Le soir même, l’AEP a décidé d’annuler la journée de grève initialement prévue jeudi sans explications, provoquant la colère de nombreux étudiants sur les réseaux sociaux. Gabriel Comby l’explique : « On a obtenu l’autorisation de diffuser la proposition qu’à 13h11 jeudi. On a pris la décision de négocier pour voir ce que l’administration était prête à faire en gardant la menace de faire la grève vendredi. On sait que certaines personnes ont pu se sentir abandonnées et on s’en excuse sincèrement. » 

Soumise au vote jeudi après-midi par l’AEP, la communauté étudiante a décidé, à 70,25 % sur presque 2 500 votants, de soutenir la grève de vendredi. « Le deal proposé ne protège pas les étudiants de la mesure et de la précarité qui l’accompagne », selon Comby. En effet, la proposition ne couvre ni les futurs étudiants de Polytechnique ni les actuels étudiants en classe préparatoire. Camille Monnier, directrice du Comité étudiant à l’année préparatoire, l’explique : « les “prépas” n’ont pas commencé le baccalauréat. Nous ne serons pas concernés par la bourse et allons devoir payer plein pot les frais de stage. »

D’après Comby, le message de la grève est très clair : « Il faut plus protéger les étudiants de la mesure, voire même l’annuler entièrement. » Une ligne tenue depuis le début du mois, et jugée « très dure » par Langlois, encore prêt à la négociation : « Les discussions sont prêtes à être poussées. » « Sans engager personne », il a également précisé que « tout était sur la table », refusant de définitivement condamner la proposition de mercredi, comme initialement prévu. Les étudiants de Polytechnique, de leur côté, restent mobilisés ; suite à la journée de vendredi, ils ont décidé de reconduire la grève le lundi 29 septembre à 64,80 % (2 835 votes). « Si les étudiants souhaitent faire la grève lundi, je serai là. Je pense qu’il faut se mobiliser plusieurs fois pour être pris au sérieux », nous expliquait alors Patricia, étudiante en cinquième année.


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