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Un don à étudier plus en profondeur

La compagnie minière Osisko a récemment donné pas moins de 4,1M$ au Département des sciences de la terre et des planètes de McGill alors que les pratiques de cette corporation sont pointées du doigt.

« Ce pourrait être le secret le mieux gardé, mais les étudiants de McGill figurent parmi les donateurs les plus loyaux –et les plus généreux– de l’histoire de l’Université » peut-on lire dans le rapport de McGill sur les dons privés, publié sur le campus. Pour preuve, les dons des diplômes constituent près de la moitié des 500M$ amassés par l’université lors de la campagne de financement à l’automne 2009. Un de ces anciens élèves, Robert Wares, désormais vice- président directeur de la corporation minière Osisko (« Osisko » OSK–TSX) annonçait d’ailleurs à la fin décembre un don de quelque quatre millions de dollars au Département des Sciences de la terre et des planètes de l’université. D’une part, ce don constitue sans doute un pas dans la bonne direction, selon les coprésidents de la campagne de financement de l’université, qui ont maintenant pour objectif de récolter 750M$ pour ses étudiants. Toutefois, selon la coalition, Pour que le Québec ait meilleure mine !- un organisme qui travaille à dénoncer certaines des pratiques de l’industrie minière– ce type de don est questionnable, sinon douteux.

Ingérence corporative ?

M. A.E. Williams-Jones est professeur au Département des Sciences de la terre et des planètes de l’Université McGill et a été nommé directeur du département en 1995. Trois semaines après sa nomination, le doyen de la faculté lui annonçait que le département devait prendre des mesures pour s’adapter à des compressions budgétaires de 25%, comme devaient également le faire tous les départements de l’institution. « À ce moment-là, on ne remplaçait plus les professeurs qui prenaient leur retraite, et on donnait des avantages aux professeurs qui acceptaient de la prendre plus rapidement » raconte le professeur Williams-Jones. Précisément, entre 1995 et 2000, le nombre de professeurs a été diminué du tiers.

M. Williams-Jones avait, à l’époque, mis sur pied une campagne de financement pour pallier aux coupures. C’est quelque dix années plus tard que Robert Wares, détenteur d’un diplôme de 2e cycle de McGill et ancien étudiant du professeur, annonce un don de 4,1 millions au département. Selon le professeur Williams-Jones, le don est le résultat d’un accord entre l’université et la corporation. Dans le cadre de cette entente, Osisko demande que l’argent soit utilisé dans le Département des Sciences de la terre et des planètes, notamment pour l’emploi de deux professeurs de géologie économique. Wares explique, par voie de communiqué, que le Québec manque de géologues pour pleinement profiter du dernier boom d’exploration minérale. « Je m’intéresse à la relève et encourage les étudiants à s’inscrire aux programmes des sciences de la terre. […] J’encourage de plus les meneurs de l’industrie de ce pays à participer davantage au soutien de nos institutions d’enseignement » explique-t-il dans le même communiqué.

Ces propos amènent le professeur du département à croire que, d’une part, le don est réalisé dans un but philanthropique, mais qu’il y a un besoin pour l’entreprise de former des employés potentiels. Dans la même veine, le président et chef de la direction d’Osisko ajoutait littéralement dans un communiqué que pour faire d’autres découvertes minérales d’envergue mondiale et pour « assurer l’avenir de [leur] industrie », il est impératif de former plus de géologues.

Si certains, comme Jennifer Washburn dans son livre University Inc., estiment qu’une relation trop étroite entre les corporations et les universités soit malvenue, voire menaçante, le directeur des communications pour le bureau de développement et des relations avec les diplômés, Derek Cassoff, est de l’avis contraire : « Peu importe d’où viennent les dons, l’université utilise l’argent de la même façon » assure- t‑il en entrevue, avant d’ajouter que le donateur a pourtant droit de regard sur l’allocation de l’argent consenti. « Le donateur peut donner des détails très précis sur la manière dont l’argent va être utilisé. » En effet, ce dernier peut même déterminer le domaine d’enseignement des professeurs qu’il souhaite engager. Cependant explique M. Cassoff, le donateur en question ne peut pas choisir qui sera nommé, la décision finale appartenant aux départements.

Une récente expansion chez Osisko

D’après le professeur Williams- Jones, Osisko s’est beaucoup agrandie récemment, surtout en raison de son projet d’exploitation d’un gisement aurifère à Malartic, en Abitibi-Témiscamingue ; le projet a amorcé le creusage d’une mine à ciel ouvert d’une envergure sans précédent au Québec. D’ailleurs, l’entreprise compte y trouver 11,2 onces d’or qui, évalués à plus de 1000$ l’once, permettraient d’amasser plus de 4,2 milliards de dollars de revenus bruts pour la corporation.

Les pratiques de l’entreprise sont pourtant critiquées, notamment par Richard Desjardins, poète, chanteur et coréalisateur de documentaires, dont un film sur la mauvaise gestion des ressources forestières québécoises en 1999, L’Erreur boréale. Récemment interviewé aux Francs-tireurs, émission de télévision d’actualité québécoise, il critique ouvertement la corporation minière Osisko, et ce, d’abord pour la rapidité avec laquelle le projet s’est amorcé à Malartic. Il explique qu’au moment ou se tenaient les audiences publiques pour débattre de la question concernant la mise en avant du projet de la compagnie, on pouvait déjà voir les maisons se faire relocaliser en vue du creusement de la mine. Qui plus est, les négociations en vue de l’expropriation des résidents des quelques 200 résidences concernées se seraient faites une par une, dans le secret, sans ressources gouvernementales pour aider les propriétaires à y voir clair. « Osisko a une emprise sur la population de la région ; ils contrôlent l’information » rapporte Desjardins.

En entrevue avec Le Délit, Robert Wares, vice-président directeur de la corporation a voulu expliquer la situation. Il explique que les négociations pour la vente des résidences avaient effectivement été faites cas par cas, mais que la compagnie avait donné le choix aux résidents. De deux choses l’une : soit ils vendaient leur maison au prix de l’évaluation plus 25%, soit ils acceptaient de la faire déplacer. « Bien sûr, certains étaient tristes de devoir vendre ou déménager mais on ne pouvait rien faire de plus. On a traité tout le monde équitablement. À mon avis, c’est un grand succès. »

Ugo Lapointe, l’un des porte- paroles de la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine !, explique qu’Osisko aurait commencé à effectuer ses principaux travaux d’exploration en 2005 et 2006, suivis en 2007 et 2008 par le début de l’achat des résidences et des cinq institutions publiques se trouvant sur le futur territoire de la mine, et ce, avant même que l’étude de l’impact environnemental n’ait été rendue publique en janvier 2009 par le Ministère du développement durable, de l’environnement et des parcs (MDDEP). Selon M. Lapointe, on a, à tort, toléré qu’une grande compagnie, avec toutes les ressources dont elle dispose, arrive chez des résidents qui eux, n’avaient pas toute l’information en main, ni les outils nécessaires pour négocier équitablement. Une situation qui, de l’avis de plusieurs observateurs, soulevait un problème éthique d’importance et qui a amené de nombreux citoyens et organismes à se demander si « les dés n’étaient pas déjà pipés » lors des audiences publiques tenues en avril 2009.

Selon Wares, toutefois, le fait que les résidences soient déplacées avant que ne soient officiellement enues les audiences publiques s’explique par l’appui de la municipalité et du conseil municipal et des élus. Selon lui, les résidents étaient généralement en faveur du projet.

Quel héritage laisse a Malartic ?

Une autre critique est adressée à l’égard des politiques d’Osisko : la faiblesse des redevances transférées à la communauté et à la région. Au moment des audiences publiques tenues en avril 2009, Osisko proposait la création d’un fond de développement durable de 150 000$ par année, pendant 10 à 15 ans. « C’est nettement insuffisant », remarque le porte-parole de la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine !. « Lorsqu’on lui fait la critique, la compagnie Osisko rétorque souvent qu’elle a déjà fait beaucoup pour la communauté en déménageant les maisons dans un nouveau quartier et en construisant de nouvelles institutions publiques. Osisko croit qu’il s’agit là d’une forme de redevance, d’une plus-value pour la communauté, alors qu’en réalité, il ne s’agit que de la moindre des choses », poursuit Ugo Lapointe. Selon Monsieur Lapointe, il faudrait au moins s’assurer que dix ans après le début de l’exploitation de la mine, soit en 2021, l’économie soit suffisamment diversifiée pour ne pas mener la communauté de Malartic, encore une fois, au bord du ravin économique. Pour assurer l’avenir économique de la région, la coalition propose que Québec exige une redevance minimale de 2 à 5% sur les revenus bruts des entreprises, comme cela se fait ailleurs dans le monde, et que la moitié soit redistribuée dans des fonds locaux et régionaux de développement durable.

Monsieur Sean Roosen, Président et chef de la direction d’Osisko, se défend pourtant sur ce point. Par voie d’un communiqué, il indique que le projet Canadian Malartic continue de contribuer à l’essor économique de l’Abitibi- Témiscamingue et du Québec. L’impression laissée au professeur Williams-Jones est la même : « La communauté de Malartic est apparemment très contente que l’on mette le projet de l’avant. J’imagine que la chose rajeunira l’environnement » commente le professeur.

Ethique et responsabilité

Ugo Lapointe dénonce également le comportement du Ministère des Ressources naturelles, lui reprochant un certain laxisme. La chose n’est d’ailleurs pas étrangère au vérificateur général qui, au printemps 2009, signait un rapport faisant état du manque d’encadrement des compagnies minières, de l’absence de reddition de comptes, des garanties financières impayées, et du système fiscal généralement trop généreux. « Ça pose un problème éthique, en fait, que le gouvernement n’exige pas suffisamment de redevances » martèle Lapointe. « Le gouvernement ne peut pas, par exemple, raisonnablement financer les départements comme celui des Sciences de la terre et des planètes, qui dépendent alors de dons privés » poursuit-il.

Pourtant, « rien n’a contrindiqué l’acceptation du don de M. Wares » conclut Derek Cassoff, depuis l’administration mcgilloise. Finalement, pour le professeur Williams-Jones, qui a suivi l’évolution de la corporation de près, il n’y a jamais eu d’éléments selon lesquels les pratiques de la compagnie Osisko avaient un impact négatif sur l’environnement ou les communautés concernées par leurs projets. Il indique pourtant que s’il était démontré que l’entreprise adoptait des pratiques qui n’étaient pas éthiques, « le département ne voudrait évidemment pas être associé avec elle. » La chose n’est toujours pas faite pour lui. 


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