Avant de rentrer chez soi après avoir passé beaucoup de temps à l’étranger, ou simplement loin de sa famille, on ressent souvent un sentiment de manque. Cette nostalgie du familier, du quotidien, se manifeste différemment pour chacun d’entre nous. Les plats réconfortants de notre enfance deviennent alors un moyen immédiat de retrouver un peu de ce foyer qui nous manque. En plus de remplir les estomacs, la nourriture agit comme un lien vivant entre nous, notre histoire familiale et la culture de laquelle elle a émergé. Elle nous permet de maintenir, de partager et de réactiver des récits – ceux de nos familles, de nos régions, de nos pays.
La cuisine n’apparaît jamais dans le vide : elle prend forme dans un contexte historique, géographique et social. Les plats que nous connaissons aujourd’hui sont le résultat d’événements, parfois très anciens, qui ont façonné les habitudes alimentaires d’une région ou d’un pays entier. La cuisine canadienne illustre parfaitement la manière dont l’histoire nationale modifie et enrichit les pratiques culinaires. L’influence des colons français et britanniques, des immigrants chinois dès le 19e siècle, des Italiens après 1940, ou encore des Vietnamiens dans les années 1970 a donné naissance à une mosaïque culinaire unique. On trouve, par exemple, des pierogis en Alberta, en Saskatchewan et en Ontario, introduits par les communautés d’Europe de l’Est. Chaque vague migratoire apporte ses techniques et ses saveurs, mais ces traditions se transforment toujours au contact des ingrédients locaux. Sous l’influence des colons britanniques, les colons français se sont, par exemple, mis à manger des pommes de terre, auparavant réservées aux animaux. Ce changement est entièrement lié au contexte colonial et donnera naissance, des générations plus tard, au célèbre pâté chinois.
Mais au-delà des grandes forces historiques, la cuisine s’inscrit aussi dans des récits beaucoup plus intimes : ceux de la famille. Préparer un plat, c’est souvent renouer avec les gestes des générations précédentes, se rappeler un parent, une voix, une odeur dans la maison. C’est examiner son héritage à travers des traditions culinaires que l’on perpétue, consciemment ou non. Dans son livre Crying in H Mart, Michelle Zauner raconte comment la nourriture devient un moyen de préserver son héritage coréen après la mort de sa mère. Elle écrit : « Vous me trouverez en train de pleurer devant les réfrigérateurs à banchan, me rappelant le goût des œufs à la sauce soja de ma mère et sa soupe froide de radis. […] Sanglotant près des produits secs, me demandant : “Suis-je encore vraiment coréenne si je n’ai personne à qui téléphoner pour demander quelle marque d’algues nous achetions?”(tdlr) »
Raconter les histoires de nos plats, partager des anecdotes culinaires, transmettre des recettes, c’est partager un morceau de soi, de son entourage, de son passé. La tradition culinaire devient un fil qui ne rompt pas, une manière de rester connecté à ce que nous sommes et à ceux qui nous ont précédés.



