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La littérature érotique chez les jeunes lectrices

Réflexion sur les impacts du **smut** et de la **dark romance**.

Toscane Ralaimongo | Le Délit

La littérature jeunesse connaît une croissance fulgurante depuis 2016. En librairie, on trouve de plus en plus d’histoires pour les jeunes, tant les enfants que les adolescents. Avec une offre si large, chacun peut trouver le style qui lui plaît et plonger dans le bonheur de la lecture. Toutefois, tous les livres ne sont pas adaptés pour de jeunes lecteurs et, face à une offre abondante, les parents ne sont pas toujours en mesure de vérifier toutes les lectures de leurs enfants. C’est particulièrement le cas pour les adolescents, jugés aptes à choisir ce qui leur plait. Certaines tactiques commerciales des éditeurs sont parfois trompeuses, et exposent de trop jeunes lecteurs à des récits inappropriés pour leur âge. 

La popularisation de la lecture par les réseaux sociaux 

Bien qu’on pourrait penser le contraire, les réseaux sociaux ne sont pas complètement opposés à la lecture. Dans les communautés Bookstagram sur Instagram et Booktok sur TikTok, de nombreux influenceurs font des recommandations de lecture à leurs abonnés. Via l’algorithme de ces plateformes, plus un utilisateur interagit avec un certain type de contenu, plus il y sera exposé : la même logique s’applique aux suggestions de lecture. L’utilisateur qui aime les romans policiers, la fantasy ou la romance, et interagit avec du contenu qui y est relié en verra davantage. À travers ces algorithmes, certains livres, parfois publiés des années auparavant, jouissent d’une popularité énorme, faisant la une dans les librairies. Or, les créateurs de contenu qui font la promotion des livres sur les réseaux sociaux sont souvent plus âgés que le public qu’ils touchent. Leurs goûts de lecture sont donc façonnés par des expériences de vie et une certaine maturité que les jeunes lecteurs n’ont pas toujours. 

La montée en popularité du smut

Si la communauté Booktok propose des recommandations de lecture diversifiées, elle met davantage en avant certains genres plus que d’autres. C’est le cas de la littérature érotique, couramment appelée « smut », qui est actuellement l’un des genres les plus représentés : le mot-clic est associé à 1,1 milliard de vidéos sur TikTok. La montée en popularité du genre littéraire n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Comme la romance, dont la littérature érotique est un sous-genre, a un public majoritairement féminin, elle permet aux femmes de lire des histoires qui se concentrent sur leur plaisir et leurs fantasmes contribuant à briser certains des tabous entourant la sexualité. Les histoires sont rédigées selon différents clichés, ce qui permet aux lectrices de choisir ce qu’elles préfèrent : romances avec des joueurs de hockey, personnages qui passent d’amis à amants ou même d’ennemis à amants. Chacune y trouve son compte. 

« La lecture du fameux smut peut contribuer à créer des attentes relationnelles et sexuelles irréalistes »

L’accessibilité de la littérature érotique 

Les utilisateurs de TikTok sont, en majorité, de la génération Z : près de 70 % des utilisateurs de la plateforme aux États-Unis ont moins de 18 ans. Cet auditoire très jeune est exposé à des recommandations de lecture qui sont donc parfois inappropriées pour leur âge. De plus, la mise en marché de ces livres est souvent très innocente : des couleurs vives ou pastel, des illustrations présentant les deux personnages principaux, un résumé assez conservateur de l’histoire… Les livres érotiques ne sont en apparence pas très différents des livres de romance classiques. Un lecteur qui ne connaît pas les titres érotiques populaires pourrait très bien en choisir un en croyant sélectionner une romance banale. Bien sûr, la plupart des librairies séparent leurs livres par genre, mais comme les deux genres se recoupent, les rangées sont souvent à proximité l’une de l’autre.

Les dangers du smut

La littérature érotique n’est pas adaptée à tous les âges. Bien sûr, chez des lectrices plus âgées, ce genre d’histoire peut présenter une bonne forme de divertissement et un espace d’exploration du désir. Toutefois, ce genre de lecture chez des adolescentes, et même parfois des préadolescentes, qui n’ont pas de connaissances sur la sexualité, peut être problématique. La littérature érotique, bien qu’elle dépeigne la plupart du temps des scénarios vraisemblables, reste de la fiction. Si les adultes peuvent différencier réalité et fiction, ce défi peut être de plus grande taille chez les jeunes, qui sont plus influençables et naïfs. 

La lecture du fameux smut peut contribuer à créer des attentes relationnelles et sexuelles irréalistes. De plus, de telles histoires présentent souvent des protagonistes dans la vingtaine, si ce n’est dans la trentaine. Alors que la protagoniste est une femme, la lectrice est encore une fille. Des adolescentes peuvent désirer une histoire romantique comme celles qu’elles lisent et ensuite imiter les comportements d’une protagoniste dans la vingtaine, ce qui peut rapidement devenir inapproprié ou dangereux. 

La dark romance : là où les choses se corsent 

Un genre littéraire similaire gagne en popularité : la « dark romance » (« romance sombre »). Il s’agit de romans où l’histoire d’amour est moralement ambiguë ou malsaine, voire immorale ou illégale. Parmi les clichés les plus populaires, on retrouve la relation avec un chef de la mafia, l’enlèvement et la captivité. La plupart des romans de dark romance ont en commun un protagoniste masculin dominant auquel la protagoniste féminine doit se soumettre. Ce genre met directement en valeur des relations de pouvoir, parfois violentes, en restant strictement fictif. 

« Si les adultes peuvent différencier réalité et fiction, ce défi peut être de plus grande taille chez les jeunes, qui sont plus influençables et naïfs »

Si les sujets peuvent être jugés problématiques, un élément l’est encore davantage : le manque de consentement. Si les personnages ne manifestent pas leur désaccord par rapport aux actes sexuels qui ont lieu, il est aussi bien rare que les femmes donnent leur accord de façon claire. Cette omission, déjà source de préoccupation pour tout lectorat, l’est d’autant plus lorsque les lectrices sont de jeunes adolescentes. Ces dernières pourraient idéaliser les relations décrites dans ces histoires et croire que ces dynamiques de pouvoir et ces relations malsaines sont tout à fait normales. Une telle perception des relations amoureuses et sexuelles est dangereuse, car elle peut forger une norme chez ces jeunes lectrices, qui pourraient rapidement chercher à faire « comme les grands ». 

La normalisation des comportements manipulateurs et violents est un véritable enjeu qui mérite d’être pris au sérieux dans un monde où déjà quinze féminicides ont eu lieu au Québec depuis le début de l’année 2025, dont neuf dans un contexte de violence conjugale. La dark romance, bien qu’elle soit un genre divertissant, mérite d’obtenir une surveillance accrue afin d’éviter que le jeune lectorat, tant féminin que masculin, ne normalise des comportements abusifs. Le smut, de son côté, pourrait contribuer à une sexualisation précoce des jeunes filles et créer des attentes relationnelles irréalistes.


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