[Mise à jour du 01/10/25 à 00:20] La demande d’injonction mentionnée dans cet article a finalement été refusée par la Cour supérieure du Québec, le 30 septembre 2025 en fin d’après-midi. Cet article a été rédigé et mis en page un jour avant cette décision.
Par simple coïncidence spatiale, vous avez le malheur de jeter votre dévolu sur cet article, qui suit une excellente explication des faits entourant l’injonction demandée par McGill pour se débarrasser des manifestants sur son campus. Une explication mesurée et impartiale, une analyse réfléchie d’un enjeu crucial pour tout étudiant de McGill. Un fier exemple de neutralité institutionnelle. Rien de tout ça ici, je vous en assure.
Il y a à peine une semaine, je m’échinais à écrire une tirade enflammée contre la censure politique et les bourreaux de nos libertés individuelles. Je condamnais Trump, Netanyahou et tous les autres tyrans qui font de la sphère publique le canevas de leurs fabrications immondes. De leurs mensonges. De leurs abus. De leurs crimes. Un article braqué sur une réalité lointaine, sur des despotes qui sont heureusement tenus loin de moi (pour l’instant) par les frontières rassurantes de ce satané Canada. Un article essentiellement sans intérêt général ; une page de défoulement, de catharsis, de gestion de la colère.
Le sujet d’aujourd’hui ? J’y arrive ; ça me démange. Et en plus, c’est pertinent, pour faire changement.
En me concentrant sur une condamnation justifiée des dérives à l’international, j’en suis presque venu à omettre l’attaque vicieuse des libertés individuelles qui se produit au sein de l’Université McGill. Il y a de cela quelques semaines, elle a déposé, dans sa grande sagesse, une demande d’injonction visant à interdire les manifestations sur son campus pour une durée indéterminée, citant une crainte de la montée d’incidents violents à l’approche du 7 octobre.
Si l’on fait abstraction de l’écœurante langue de bois administrative si chère à notre institution autocratique, on comprend qu’elle recherche avant tout un prétexte pour empêcher toute démonstration subséquente pouvant altérer le déroulement voulu de ses activités. On comprend qu’elle instrumentalise malhabilement un événement tragique pour limiter les libertés individuelles de ses étudiants. Franchement, c’est dégueulasse.
C’est presque hilarant de voir les bonzes de l’administration pleurnicher devant les tribunaux et s’épancher sur les supposés dangers imminents qui planent sur les précieux bâtiments de McGill. Presque. Le rire vire au rictus quand on réalise que nos droits sont entre les mains de quelques fonctionnaires peureux et malléables. Des employés obéissants, à la solde d’intérêts bien plus importants que ceux des misérables étudiants, qui sont supposément le cœur de l’identité mcgilloise.
« Mais les pires des injustices, parmi lesquelles le génocide à Gaza fait office d’apex de la souffrance télédiffusée, ne méritent-elles pas que l’on s’époumone pour elles ? »
Sachant qu’il est impossible d’être volontairement aussi idiot (quoi que, cela s’est déjà vu), il faut se demander quelles sont les visées réelles de l’administration. Que veut-elle accomplir en suspendant les droits des étudiants ? Pense-t-elle que son recours à une sorte de stalinisme éhonté va faire rentrer dans le rang les plus dissidents de ses étudiants ? Franchement ! Réfléchissez un peu ! Les étudiants sont avant tout des humains, et les humains ont des droits inaliénables, fondamentaux. Parmi ceux-ci, le droit de manifester figure comme une extension directe du droit à la liberté d’expression, complète- ment bafoué par McGill, qui décrète que ses intérêts priment sur ceux de la collectivité.
Ses réels intérêts, ils sont nébuleux, mais surtout, ils nous sont complètement dissimulés. On nous répétera, par le biais de courriels soigneusement polis, que toute cette charade judiciaire n’a comme seul objectif la protection des étudiants. Leur sécurité. Piètre subterfuge.
Tout ce qu’elle veut vraiment, cette Université, c’est vous aseptiser. Vous endormir. Vous faire perdre de vue l’ampleur des enjeux que vous défendez. Elle veut vous faire croire qu’en vous exprimant, vous vous placez dans une situation dangereuse. Qu’en vivant dans un milieu qui s’exprime librement, une épée de Damoclès vous pend juste au-dessus du nez. On dirait qu’il faut absolument que vous deveniez de bons rouages dociles d’un monde qui vous gave de platitudes dégoûtantes jusqu’à vous en faire oublier votre raison d’être. Dans un milieu qui se devrait d’incarner le savoir et la liberté de pensée, vous vous retrouvez enchaînés aux mêmes intérêts qui gouvernent réellement l’administration de l’Université.
Mais nous avons su montrer, nous, les jeunes, les universitaires, que nous résistions aux maintes tentatives des détenteurs du pouvoir de nous faire taire. La lutte contre la guerre du Vietnam, l’apartheid en Afrique du Sud… et maintenant le combat contre les innombrables crimes d’Israël à l’égard du peuple palestinien. Et tant d’autres… Il y a autant de luttes qu’il y a d’injustices.
Mais évidemment, on utilise quelques événements violents isolés pour qualifier tout un mouvement. Pour délégitimiser tout un combat. On prend une décision en prétendant assurer la sécurité collective, mais dont les ramifications perverses et préméditées sont révulsantes.
« Et si on m’enlève ce droit, eh bien je le ferai pareil ! Et j’en souffrirai les conséquences, qui seront autrement moins importantes que le sentiment d’avoir abandonné mes convictions pour me conformer à une injustice »
Tous les syndicats, les groupes militants ; toutes les causes humanitaires qui trouvent dans le milieu universitaire leurs plus ardents défenseurs se verraient muselées. On les contraint à l’effacement de la place publique si elles sont jugées intimidantes ou bien si elles font trop de vacarme. Mais les pires des injustices, parmi lesquelles le génocide à Gaza fait office d’apex de la souffrance télédiffusée, ne méritent-elles pas que l’on s’époumone pour elles ? Je ne crois pas être moralisateur lorsque je vous réitère l’importance de l’action citoyenne pour dévier, ne serait-ce qu’un instant, l’attention des décideurs publics vers une réalité autre que celle de la ploutocratie qui nous gouverne.
Si vous suivez à peu près le fil de cet article, vous comprendrez que mes récriminations s’orientent autour de quelques problématiques majeures de la démarche de McGill. Entre autres, son hypocrisie et son totalitarisme inquiétant m’enragent profondément. Et vous pouvez penser que j’exagère. Vous avez le droit de croire que j’en fais trop, que mes images sont caricaturales, inexactes, dithyrambiques. Mais franchement ! On parle quand même de votre liberté d’expression, votre liberté de manifester, votre liberté d’exister et d’être en désaccord avec le système que vous subissez.
Et pourquoi ne pas manifester en dehors des murs, me direz-vous ? Quelle question ! Déjà, McGill est souvent visée directement par certaines manifestations (notamment, les syndicats) et est donc le seul lieu pertinent pour la tenue de telles démonstrations. Mais aussi, parce qu’on doit avoir le droit de se faire entendre où on le souhaite. Parce que nul ne peut nous contraindre à nous confiner, à nous cacher pour faire entendre nos volontés. C’est là que se trace la ligne entre la soumission et la liberté.
Et puis, si moi, égoïste comme je pourrais décider de l’être, je veux protester contre le fait que McGill crache sur la fragile francophonie qui l’habite ? Si je veux crier haut et fort, pacifiquement, que je trouve que l’AÉUM n’est qu’un gaspillage inefficace de nos ressources financières et administratives ? J’ai le droit de le faire ! Et si on m’enlève ce droit, eh bien je le ferai pareil ! Et j’en souffrirai les conséquences, qui seront autrement moins importantes que le sentiment d’avoir abandonné mes convictions pour me conformer à une injustice.
Alors, syndiqués de McGill, manifestants pacifiques pour la Palestine, étudiants en médecine : plaignez-vous ! Vous aurez toujours votre place au sein des pages du Délit, je vous le promets. Ne donnez pas raison à une administration qui vous caractérise comme violents et impertinents. Mais ne voyez aucunement en cet article un appel à la violence, politique ou civile : je me répète peut-être, mais j’en appelle à votre liberté. Ne laissez pas quelques pantins décider de vos droits et forcer votre silence. Car votre dissension n’affaiblit pas la cohésion de l’Université : elle la renforce. Elle donne tout son sens à ce milieu se devant d’être le terreau fertile de la pensée critique, mais dont la mission est gangrénée par quelques bien-pensants serviles.
Votre désir de justice sociale, humanitaire, écologique, féministe… il n’est que l’expression de votre liberté. Et votre liberté, personne ne pourra jamais vous l’enlever. Sauf si vous les laissez le faire.
Ne laissez pas McGill vous faire taire !