[Mise à jour du 01/10/25 à 00:24] La demande d’injonction mentionnée dans cet article a finalement été refusée par la Cour supérieure du Québec, le 30 septembre 2025 en fin d’après-midi. Cet article a été rédigé et mis en page un jour avant cette décision.
À l’approche du 7 octobre, un bras de fer juridique s’engage entre l’Université McGill et une partie de sa communauté. L’Université a en effet demandé, devant la Cour supérieure du Québec, une injonction visant à bannir les manifestations sur son campus de manière permanente. Si la Cour venait à l’approuver, l’injonction empêcherait tout rassemblement jugé perturbateur, interdisant aux manifestants de bloquer l’accès aux bâtiments et aux chemins de McGill, de produire « un bruit excessif » dans un rayon de cinq mètres d’un édifice, ou encore d’« intimider » le corps étudiant.
Cette demande survient après une série de mobilisations pro-Palestine menées par le collectif des Étudiants pour l’honneur et la résistance de la Palestine (Students for Palestinian Honour and Resistance ou SPHR) depuis 2023. Bien que seul SPHR soit officiellement visé par la procédure judiciaire, l’impact potentiel de l’injonction est néanmoins plus large. En pratique, toute personne affiliée à McGill – étudiant, professeur, employé – et ayant connaissance de l’injonction se verrait contrainte de s’y conformer. Plusieurs syndicats et associations étudiantes ont témoigné devant le tribunal les 18 et 19 septembre pour exprimer leurs préoccupations.
L’administration invoque un climat d’insécurité
Ce n’est pas la première fois que l’Université McGill a recours à ce mécanisme légal. Elle avait déjà obtenu deux injonctions temporaires : une de dix jours en octobre 2024, puis une autre en avril 2025. La particularité de la requête actuelle tient à l’absence de limite temporelle. Si elle était accordée, l’injonction pourrait s’appliquer indéfiniment, avec des répercussions durables sur la vie du campus.
Dans sa demande d’injonction, l’administration mcgilloise dépeint un campus en proie à un « climat d’insécurité ». Selon l’Université, les manifestations de SPHR perturbent non seulement le déroulement normal des cours, mais créent également un environnement où certains membres de la communauté se sentent menacés.

Les syndicats en colère
« C’est comme s’attaquer à une mouche avec une bombe nucléaire », déplore Catherine Leclerc, professeure au Département des littératures de langue française et présidente de l’Association mcgilloise des professeur·e·s de la faculté des arts. À ses yeux, la démarche de McGill est disproportionnée : « Une injonction ne va pas protéger l’Université des tensions extérieures ; par contre, elle va certainement empêcher plein de gens de militer, de faire valoir leurs droits, et de faire la grève. »
Leclerc souligne que le syndicat des professeurs est actuellement à la veille d’ouvrir des négociations pour une nouvelle convention collective avec l’administration. Or, la professeure rappelle que le droit de grève constitue l’outil de pression principal dans ce type de processus. « L’administration mcgilloise nous dit qu’on s’inquiète pour rien. Mais on sait que l’administration a aussi contesté la mise au monde des syndicats à toutes les étapes – on n’a pas vraiment confiance envers leur utilisation de l’injonction », affirme-t-elle.
Elle s’inquiète également du caractère flou de la mesure. Dans la requête déposée par McGill, le fait qu’un événement soit qualifié de manifestation dépend de l’impression d’« intimidation » par des étudiants. Or, fait-elle remarquer, « la difficulté, c’est que l’intimidation est vraiment liée à la perception individuelle ». Ainsi, il suffirait qu’un étudiant se sente intimidé pour qu’un rassemblement tombe sous le coup de l’injonction – même si aucune intimidation n’a eu lieu au sens légal.
« C’est comme s’attaquer à une mouche avec une bombe nucléaire »
Catherine Leclerc, présidente de l’Association des professeur·e·s de la Faculté des arts
Dallas Jokic, président de l’Association des étudiant·e·s diplômé·e·s employé·e·s de McGill (AÉÉDEM), partage cette inquiétude. Pour lui aussi, les critères retenus sont trop vagues pour que les syndicats puissent organiser leurs actions en toute confiance. « Nous étions immédiatement inquiets lorsque nous avons entendu parler de l’injonction (tdlr) », explique-t-il. Il ajoute : « Je pense que McGill utilise le cas spécifique de SPHR comme un moyen pratique de limiter complètement les manifestations sur son campus. » Après plusieurs années marquées par des tensions sociales, l’Université chercherait, d’après Jokic, à profiter de l’occasion pour réduire la contestation sur son campus.
« Réduire les étudiants au silence »
Israel on Campus et Hillel McGill n’ayant pas donné suite à notre demande d’entrevue, Le Délit s’est entretenu avec Taya, étudiante juive et israélienne. Elle admet que les dernières années ont été difficiles pour les étudiants juifs sur le campus : « L’année dernière, je sais que moi-même et d’autres étudiants juifs ne nous sentions pas en sécurité lorsqu’il y avait des manifestations sur le campus, simplement parce qu’elles avaient tendance à devenir violentes. Il y avait de toute évidence des personnes aux opinions plus extrêmes qui ciblaient les étudiants juifs. » L’étudiante nuance toutefois : « Je ne pense pas que la majorité des manifestants aient eu l’intention de mettre les autres étudiants en danger. »
Si elle reconnaît qu’une interdiction des manifestations pourrait réduire les tensions, elle estime que ce n’est pas la bonne solution pour autant : « Est-ce que je me sentirais plus en sécurité en tant qu’étudiante juive s’il n’y avait aucune manifestation ? Probablement. Mais je ne pense pas que McGill devrait être autorisée à réduire au silence quiconque en raison de ses opinions politiques. »
Associations pro-palestiniennes en état d’alerte
Les associations pro-palestiniennes ont quant à elles une position plus tranchée sur la démarche de McGill. Un membre de Independent Jewish Voices (IJV) – un groupe d’activistes proche du collectif SPHR depuis 2023 – ayant requis l’anonymat confie : « Nous sommes extrêmement en colère. Cela fait longtemps que nous le sommes. McGill a adopté une position déplorable à l’égard des droits des étudiants et de la liberté d’expression. »
Selon elle, cela n’est d’ailleurs pas la première fois que McGill essaie de réduire au silence les voix dissidentes. « Nous avons vu McGill tenter à maintes reprises de faire taire les étudiants au cours des deux dernières années, mais ses tentatives échouent à chaque fois. Je pense que McGill ne l’a pas encore compris, mais que ça ne saurait tarder », affirme-t-elle. Le membre cite un appui évident de la part du corps étudiant et de la communauté montréalaise. « Independent Jewish Voices continue de soutenir SPHR dans sa lutte pour faire entendre la voix des Palestiniens sur le campus et condamner le génocide ». Le collectif SPHR, quant à lui, n’a pas donné suite à notre demande d’entrevue.
La décision de la Cour supérieure, qui sera annoncée au courant de la semaine, pourrait redéfinir de manière permanente la relation entre l’administration, les étudiants et les employés de l’Université McGill.