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La liberté qu’il nous reste

L’inquiétante recrudescence de la censure politique.

Eileen Davidson | Le Délit

J’avais comme idée cette semaine d’écrire sur la nomination de Robert Leckey, ex-doyen de la Faculté de droit de McGill, à titre de juge à la Cour supérieure du Québec. J’aurais décrié une décision fédérale complètement inacceptable, et critiqué un juriste sous-qualifié, opposé aux lois 96 et 21 et fervent partisan du Parti libéral du Québec et du Canada. Je me serais vertement opposé à cet affront à l’autonomie législative québécoise, malgré mon désaccord avec les motivations parfois xénophobes du projet caquiste en ce qui a trait à la loi 21. Bref, une autre démonstration de mon mécontentement face aux incursions du fédéral dans notre démocratie québécoise, jamais tout à fait omnipotente.

Mais face aux affronts répétés à la liberté d’expression dans la dernière semaine, ma conscience me dicte de laisser la politique tranquille un moment. C’est franchement inquiétant, et en tant que (pseudo-) journaliste, je ne peux rester muet. C’est mon droit, ce l’est encore et ça doit le rester. Alors voilà. Ce n’est que partie remise pour Leckey.

« Pour savoir qui vous dirige vraiment, il suffit de regarder ceux que vous ne pouvez pas critiquer »
- Voltaire

Le propos qui suivra se veut simplement un regard critique sur les abus oppressifs de certaines nations dont la puissance inquiétante enraye la possibilité pour tous de s’exprimer librement. Il n’est pas une condamnation, mais plutôt un cri désespéré pour la liberté.

Difficile de braquer le regard ailleurs que sur les États-Unis et leur inquiétante ploutocratie. Une nation dirigée par une sorte de monstre bicéphale, alliance d’un tyran sénile et d’intérêts étrangers génocidaires. Une nation supposément obsédée par son archaïque Bill of Rights – mais qui en fait une écoute sélective. Une nation se croyant hégémonique, toute-puissante, invincible. Une nation en perdition.

Mais surtout, une nation dont on ne peut critiquer le pouvoir en place, sous peine d’exclusion de la sphère publique, d’une perte d’emploi sans sommation ou bien même d’attaque directe par un bonhomme orangé ayant oublié de désactiver le verrouillage des majuscules.

Donald Trump, que j’ai pu décrire comme sénile et orangé ci-haut, est tout de même un ingénieux propagandiste, un maître de la distraction et de la confusion. Un hypocrite de la pire espèce. Quand il s’agit de pleurer la mort d’un homme haineux, raciste et homophobe comme Charlie Kirk, on ne trouve pas en Trump un plus grand défenseur de la liberté d’expression et d’opinion. Il condamne toute violence politique et déifie un débatteur populiste somme toute médiocre, juste assez intelligent pour retenir et recracher les grandes lignes de la révulsante idéologie trumpiste.

Mais gare à celui qui oserait le critiquer ! La liberté d’expression défendue par le Premier amendement se métamorphose en une obligation de complimenter. On ne peut plus critiquer Trump ou son administration et ses alliés : il n’aime pas ça. Ça l’offusque et ça le frustre, quand les journalistes parlent en mal de lui. Il use de son pouvoir pour bannir certains médias de ses mêlées de presse, réduire au silence ses critiques médiatiques et se débarrasser de fonctionnaires qui osent se dresser contre lui.

Et on ne pourra pas dire que l’on ne s’y attendait pas ! C’est un déjanté de la première heure, un malade à la tête de la nation la plus puissante au monde ! L’élire une fois en 2016, je peux le comprendre. Une femme au pouvoir, pour nos voisins du Sud, c’était peut-être trop en demander. Mais le réélire ? Quelle infamie ! Un homme qui n’est loyal qu’envers lui-même, qui ne défend la Constitution que lorsqu’elle sert ses intérêts les plus égoïstes, et qui, en plus, est un criminel ! C’est dystopique.

Fasciste, le Donald ? Je n’irai pas jusque là, mais on n’en est pas très loin. On n’a pas non plus à se rendre bien loin pour en trouver un, un État fasciste, ethnonationaliste et génocidaire.

Le plus fidèle allié des États-Unis, Israël, est une autre nation qu’il semble impossible de critiquer sans s’exposer formellement à une panoplie d’accusations. Vous critiquez l’éradication du peuple palestinien ? Antisémite ! L’exécution d’enfants ? Haineux ! La famine orchestrée et planifiée ? Menteur ! Cette auto-victimisation est si efficace que les gens en oublient les images diffusées de massacres et de morts à longueur de journée, preuves directes des crimes israéliens. La famine devient un mensonge parce que quelques Gazaouis grassouillets existent. On transforme les enfants exécutés en apprentis terroristes. On parle du génocide des Palestiniens comme d’une guerre. Les mots et les images perdent leur sens, et les téléspectateurs y laissent leur raison.

À la lumière des discours remâchés cent fois truffés de mensonges éhontés, il est clair que la machine de guerre israélienne n’est pas qu’une puissance militaire financée par les États-Unis. Elle est passée maître dans l’art de nous flouer, de nous ensorceler et de nous aveugler. Elle est insidieuse, elle s’infiltre dans les rouages du pouvoir par l’intermédiaire d’organisations telles que l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) et installe son narratif facétieux dans l’imaginaire collectif. Et l’argent, que dire de l’argent ! Tout le monde a son prix, et chaque politicien un seuil d’intégrité.

Pour les vendus à l’entreprise israélienne, tout devient un affront. On leur parle de Palestine libre, et on dirait qu’on vient de leur annoncer que l’on voudrait éliminer les Juifs de la surface de la Terre. C’est absurde, toute cette gymnastique pour défendre ce que même l’ONU qualifie de génocide. J’ai de la difficulté à le mettre en mots, tellement c’est délirant. On ne peut plus rien dire, on ne peut plus critiquer, on n’est véritablement pas libres de s’exprimer.

Je n’incite personne à la haine ou à la violence en m’exprimant ainsi. Je ne franchis aucun seuil passible d’une sanction selon la loi canadienne. Et pourtant, la publication d’un article tel que celui-ci pourrait m’attirer bien des ennuis. Pourquoi ? Parce qu’il existe de toute évidence, comme Voltaire a su le dire, une sphère du pouvoir que l’on ne peut se permettre de critiquer. Il existe réellement des entités qui peuvent moduler le sens des mots, qui peuvent réduire au silence les critiques à leur égard de manière systématique.

« C’est en se lassant de défendre ses droits qu’on les perd pour de bon, et que l’on concède la victoire à ceux qui déploient tant d’efforts pour nous faire taire »

Je n’accuse pas Israël de contrôler le monde, de contrôler nos intérêts et nos industries. Vous ne ferez pas une Elisa Serret de moi ! Mais il est impossible d’ignorer qu’Israël a mainmise sur de nombreux enjeux de la politique américaine. C’est factuel, rapporté par des intellectuels comme Mearsheimer et Sachs et des politiciens comme Bernie Sanders, tous trois Juifs, mais capables d’un jugement critique. Ils ne sont pas antisémites mais anti-ingérence, anti-génocide, anti-apartheid !

Il est important que les mots conservent leur sens, sans quoi tout débat devient complètement inutile et dépourvu de rationalité. Une critique de Netanyahou et son régime génocidaire n’est pas antisémite parce qu’il gouverne un état à majorité juive. Une critique de Trump, un président despotique et antidémocratique, n’est pas illégale parce qu’il le décrète.

Il ne faut pas rester muet ou indifférent face à toutes ces entraves à la liberté d’expression. Il ne faut pas avoir peur de les défier, sans quoi on risque de les normaliser. C’est en se lassant de défendre ses droits qu’on les perd pour de bon, et que l’on concède la victoire à ceux qui déploient tant d’efforts pour nous faire taire.

Je pense réellement que, si vous ne devez retenir qu’une chose de cet article, c’est de ne pas craindre les conséquences de l’expression de votre liberté. Je n’ai pas dit l’expression de votre haine, ou de vos insultes sans fondement. J’en appelle à votre liberté. À notre liberté à tous. Si vous vous taisez maintenant, vous le regretterez lorsque vous n’aurez plus de choix à faire entre la parole ou le silence. Vous le regretterez pour toujours.

Et aux despotes de se réjouir de votre apathie.


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