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Défendre le droit de douter

Une adaptation québécoise de l’œuvre américaine de Reginald Rose.

Joe Alvoeiro

Alain Zouvi, metteur en scène de 12 hommes en colère, la pièce de théâtre en tournée au Québec, n’est pas le premier à s’attaquer à l’œuvre de Reginald Rose. À l’origine un téléfilm sorti en 1954, Twelve Angry Men a été adapté plusieurs fois au cinéma et à la télévision. Cette fois, le texte a été traduit pour tenir compte d’un public québécois. La mise en scène d’Alain Zouvi, trop fidèle au script original, peine à se démarquer des précédentes adaptations qui ont connu un grand succès. Elle manque décidément de caractère malgré l’intemporalité du message principal. 

Pourtant, la nature contraignante du huis clos au théâtre, qui enferme ses personnages dans un espace confiné, laissait place à davantage de créativité et d’originalité. Malgré le clin d’œil à la guerre culturelle douce-amère que se livrent les Québécois et immigrés français de la province, l’adaptation de Zouvi est presque un copié-collé du texte anglais avec pour seule différence la langue et la nuance des accents francophones. Le jeu aurait bénéficié de plus grandes prises de liberté avec le texte datant des années 50 et d’une mise en scène plus surprenante qui aurait paru moins anachronique et plus proche des enjeux de sociétés actuels. D’autant plus que les thèmes explorés par l’auteur new-yorkais ont une résonance particulière avec l’actualité américaine et l’état de nos démocraties modernes. 

12 hommes en colère convie le spectateur à une discussion enflammée entre les douze membres d’un jury populaire qui doivent décider de la culpabilité du suspect accusé du meurtre de son père. Toutes les preuves sont réunies pour le déclarer coupable et laissent peu de place au doute. Le verdict semble plié d’avance, il ne suffit que d’un vote unanime pour le condamner à mort. Pourtant, un des membres du jury refuse de voter « coupable » ; il est seul contre tous. Et si les témoins s’étaient trompés ? Et si l’accusé était innocent ?

La pièce nous offre une belle leçon de démocratie en ces temps sombres où la polarisation et la violence politique grimpent en flèche. De tous âges, de classes sociales contrastées (banquier, ouvrier, publicitaire…) et d’opinions divergentes, les jurés doivent s’asseoir autour d’une table pour discuter et ainsi trouver un accord. Là est l’essence de la démocratie, selon moi : débattre de ses opinions de manière rationnelle et logique afin de prendre la décision la plus juste possible. Après tout, qui donc peut prétendre avoir accès à la vérité objective ? La pièce montre qu’il est nécessaire d’apprendre à s’écouter et d’abandonner le dogmatisme.

« Les faits, on peut leur faire dire ce que l’on veut », déclare un des jurés revendiquant le droit de remettre en question les informations qu’il reçoit avant de construire son avis. Savoir se servir de son esprit critique semble primordial à l’ère des réseaux sociaux, où une citation, sortie de son contexte, peut avoir un sens complètement différent. Intégrer cette dimension numérique à la pièce aurait pu rendre le message bien plus percutant.

D’ailleurs, la mise en scène souffre surtout de son réalisme. Le spectateur est complètement immergé au sein de la discussion des jurés, et finit comme eux par trouver le temps long au fur et à mesure que la lumière artificielle du jour décline. D’une durée de deux heures, la frustration et les cris des personnages qui s’impatientent ont de quoi nous donner mal à la tête. Un peu plus de légèreté et d’humour auraient pu rendre le propos plus digeste.

12 hommes en colère est en tournée au Québec jusqu’en décembre.


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