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Trump, ICE et Garde nationale : le regard des mcgillois sur les émeutes de Los Angeles

La crise actuelle aux États-Unis suscite réactions et réflexions au sein de la communauté mcgilloise.

Timotée Allouch-Chantepie

Le déploiement à Los Angeles de 2000 membres de la Garde nationale ainsi que de 700 soldats du Corps des Marines ordonné par Donald Trump le samedi 7 juin, en réponse aux manifestations contre l’agence de l’immigration et des douanes (ICE), a suscité de vifs débats au sein de la société américaine.

Los Angeles, deuxième ville la plus peuplée des États-Unis, compte plus de dix millions d’habitants, dont près d’un million sans statut légal. En tant que ville sanctuaire, Los Angeles n’est pas tenue de coopérer avec les autorités fédérales de l’immigration. Cela n’a pourtant pas empêché l’ICE de multiplier les raids ciblant la communauté latino-américaine. L’un d’eux, mené le matin du samedi 7 juin dans le stationnement d’un Home Depot — employeur important de la main‑d’œuvre hispanique —  a déclenché une série de manifestations. Certaines d’entre elles, notamment dans le quartier populaire de Compton, ont donné lieu à des confrontations violentes entre la LAPD et des manifestants. Le mouvement de protestations s’est ensuite déplacé vers le centre-ville, aux abords du Centre de détention fédéral, où se trouvent certains détenus de l’ICE. Peu d’incidents violents ont été signalés du côté des manifestants. En revanche, l’usage répété de gaz lacrymogènes ainsi que de munitions non létales par les forces de l’ordre a été dénoncé par les représentants californiens. 

De l’huile sur le feu ? 

Le gouverneur Gavin Newsom s’est présenté comme meneur de l’opposition californienne à l’administration Trump. N’ayant pas été consulté par le président avant le déploiement de la Garde nationale — une étape pourtant préconisée par la Constitution américaine — Newsom a saisi le tribunal de San Francisco pour contraindre Washington à rappeler ses troupes. L’administration Trump a ensuite fait appel, et la cour d’appel fédérale s’est rangée du côté du président, lui permettant de maintenir la Garde à Los Angeles. Newsom accuse la Maison Blanche d’exagérer les incidents de violences afin de justifier des tendances autocratiques. Dans un communiqué enregistré, il explique que « cet abus de pouvoir éhonté de la part d’un président en exercice a enflammé une situation explosive. […] Et le président l’a fait exprès ! (tdlr) ». Trump a répondu sur les réseaux sociaux, visiblement agacé par le gouverneur, en répétant le surnom qu’il lui a attribué : « Newscum » (le mot scum signifiant « ordure » en anglais). La Maison Blanche a continué de défendre le déploiement de troupes comme nécessaire pour apaiser les tensions, une notion qui semble avoir été contrariée par les violences qui ont suivi.

L’escalade des tensions chez nos voisins américains soulève de nombreuses questions sur la stabilité de nos sociétés et inquiète une partie de la communauté mcgilloise. Parmi les plus de 2000 étudiants américains de l’Université, certains se disent profondément préoccupés par l’avenir de leur pays.

Romy, étudiante en deuxième année à la faculté des Arts et originaire de Los Angeles, affirme se sentir « nettement plus menacée » par le déploiement de la Garde Nationale, même si elle ne fait pas partie des populations visées. « Ça rend la ville presque plus dangereuse », explique-t-elle, évoquant notamment des raids dans des quartiers majoritairement hispaniques ou à proximité d’écoles. Pour elle, ce déploiement n’a rien d’un geste pacificateur : « C’est du racisme et de la discrimination. » Elle évoque le non-respect des minorités et de leurs droits, ainsi qu’une politique « directe et visée » envers la communauté latino.

Un autre étudiant, Jean*, rejoint ce constat, qualifiant la manœuvre de « coup médiatique » de Donald Trump. « Il ne s’agit pas de sécurité. C’est une démonstration de force dirigée contre la Californie, un État qui lui est opposé politiquement. »  Selon lui, l’intervention de l’armée ne fait qu’alimenter la polarisation et renforcer la confrontation entre la Californie et Washington. Il évoque également les divergences dans la couverture médiatique, autant dans les grands médias que sur les réseaux sociaux, qui accentuent cette fracture. 

Un dialogue matraqué d’avance ? 

Les étudiants angelinos de McGill y voient aussi un parallèle avec les manifestations qui se sont déroulées cette année autour du campus du centre-ville. Bien qu’en majorité pacifiques, quelques incidents violents en ont terni l’image. L’intervention des forces de l’ordre lors des doubles manifestations du 7 octobre 2024 — pro-israéliennes et pro-palestiniennes — n’a pu apaiser les tensions.  À Montréal comme à Los Angeles, la présence des forces de l’ordre semble incapable d’enrayer la violence ; elle peut même l’accentuer, notamment par l’usage de gaz lacrymogènes, observé dans les deux villes.

Les deux étudiants reconnaissent que, même à Montréal, l’incompréhension entre autorités et manifestants peut mener à des débordements. Pourtant, Romy insiste : « La majorité des gens veulent juste être entendus. » De son côté, Jean déplore une dynamique cyclique entre les manifestants et les forces de l’ordre : « Chacun anticipe la violence de l’autre, et au final, elle devient presque inévitable. » 

Cependant, le risque de violence n’a pas empêché la multiplication des manifestations aux États-Unis, qui ont culminé samedi le 14 juin avec l’organisation du mouvement #NoKing ! Day. Environ cinq millions de personnes y ont participé, en réponse aux dérives autoritaires de Donald Trump, symbolisées par la parade militaire organisée à Washington à l’occasion de son anniversaire. Il s’agissait de la première parade de ce type en temps de paix dans l’histoire du pays. Cette démonstration de force a été perçue comme contraire à la culture politique américaine, où l’armée prête serment à la Constitution et non au gouvernement.L’accumulation de ces événements souligne un climat politique extrêmement tendu dans le pays. En effet, dans la foulée du #NoKings ! Day, l’assassinat politique de Melissa Hortman, démocrate du Minnesota, a plongé le pays dans un climat de peur et d’insécurité. Ces événements, qui ont marqué un mois de juin déjà secoué par les violences de l’ICE et des manifestations, reflètent la banalisation de la violence au sein d’une société civile en crise.


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