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Trop beau pour être vert

Les projets de villes futuristes : révolution écologique ou apparences trompeuses ?

Rose Chedid | Le Délit

L’archétype du mégaprojet d’habitation futuriste cible souvent les mêmes problématiques et secteurs de développement : l’environnement, l’innovation technologique, la culture et la santé. Sur papier, tout semble toujours se compléter parfaitement. La vision du projet est claire, son résultat paraît logique et durable. Pourtant, sa réalisation génère souvent les problématiques mêmes que le projet vise à régler : la surexploitation et la contamination des ressources naturelles nécessaires à la construction, l’émission de grandes quantités de gaz à effets de serre, l’aggravation des injustices entre les classes sociales, etc. En 2021, l’industrie de la construction générait un tiers des déchets produits dans le monde.

Voici deux exemples de ces projets peut-être trop beaux pour être verts en voie de réalisation dans les prochaines années.

Projet NEOM


En explorant leur site web de présentation, le projet saoudien NEOM semble être la solution parfaite pour alléger nos consciences. Il existe enfin un projet concret pour modeler la société du futur, c’est-à-dire une société environnementale ! Cette superstructure, qui espère rassembler neuf millions d’habitants dans un espace équivalent à la superficie de la Belgique, mise tout sur l’innovation verte ; mais ce qui surprend le plus sont les promesses grandioses de la multitude de services et d’opportunités qui y seront offerts. Alimenté par la richesse colossale de l’Arabie Saoudite et d’investisseurs privés, il est difficile de croire que le seul but de NEOM soit un renouveau environnemental. Sur le site web du projet, on apprend l’origine de l’acronyme : « Les trois premières lettres proviennent du préfixe grec ancien “neo”, qui signifie ‘‘nouveau’’. Le ‘‘M’’ est la première lettre de ‘‘Mustaqbal’’, un mot arabe signifiant ‘‘futur’’. Le ‘‘M’’ est également la première lettre du nom du prince héritier, Mohammed ben Salmane (tdlr) » Ces quatre lettres reflètent l’ambition démesurée d’un pays qui s’aligne vers un futur post-pétrole, selon la « Vision 2030 » de Mohammed ben Salmane. Les images 3D promotionnelles mettent en avant des installations qui n’affecteront pas le territoire, dont 95% de la superficie est supposément protégée, mais la réalité des travaux en cours montre autre chose : une quantité faramineuse de camions énormes et d’équipement mécanique lourd. Avec la construction de NEOM qui va assurément polluer en grande quantité, il est difficile de voir comment cette solution auto-désignée aux problèmes du monde accomplira le défi insurmontable de se prouver comme modèle viable pour la vision d’un futur durable.

« Peut-être que ces projets ont comme vision que notre société actuelle est irréparable, donc qu’il faut recommencer à zéro. »

Projet géoLAGON


Un autre exemple plus près de chez nous est le projet géoLAGON, pensé par le promoteur Louis Massicotte. Ce projet, inspiré des bains thermaux islandais, vise à bâtir d’ici 2027, à quatre endroits au Québec, un village de chalets autour d’un vaste bassin d’eau maintenu à 38˚C à l’année. Les villages seraient supposément carboneutres, alimentés par l’énergie solaire et la géothermie. Sur la première page du site internet du projet, on est invité à aller lire plus de 200 articles rédigés sur le sujet. Pourtant, on remarque assez vite que ce sont des articles uniquement en faveur du projet, et que si on cherche par soi-même, on trouve beaucoup plus d’opinions nuancées. Le Rapport d’analyse systémique de durabilité du projet géoLAGON, effectué par la Réserve de la biosphère de Charlevoix (RBC), met en lumière plusieurs défis peu raisonnables et des dangers de contamination de nappes phréatiques et des milieux humides par les infrastructures. « Sur papier, c’est un projet novateur estime Jean Landry, directeur de l’OBV [Organisme de bassins versants, ndlr] Charlevoix-Montmorency », rapporte un article du Charlevoisien. Il reste à voir si le projet atteindra ses objectifs quelque peu utopiques sur le terrain.

Qu’est-ce qui motive tous ces projets de grande envergure ? Est-ce simplement la bienveillance humaine ? C’est facile d’en douter, car il ne faut pas passer plus de cinq minutes à lire les nouvelles pour voir que notre société a déjà mille et une choses à régler avant de penser à de nouvelles villes et aux autres installations du futur. Peut-être que ces projets ont comme vision que notre société actuelle est irréparable, donc qu’il faut recommencer à zéro. Même là, ils ne s’attaquent pas au cœur des problèmes systémiques, comme la pauvreté ou la surconsommation, qui ont façonné la société inégale et la crise climatique qui existent aujourd’hui. Au contraire, ces projets ont une motivation économique, perpétuant la cupidité et l’égocentrisme, qui détournent les efforts nécessaires pour améliorer les institutions qui existent déjà. Au lieu de recommencer à neuf et de négliger les enjeux présents devant nos yeux, concentrons-nous plutôt à les régler à la source. La planète, pour être protégée, n’a pas besoin d’être encore plus recouverte de béton qu’elle ne l’est déjà.


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