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L’extrême droite s’impose en Europe

Comment le populisme entretient des relations ambiguës avec l’Europe

Clément Veysset | Le Délit

Les 6 et 9 juin prochains se dérouleront les futures élections de l’Union Européenne. Elles se font au suffrage universel direct et ont lieu tous les cinq ans. À l’issue de ces élections, 720 députés seront nommés dans les vingt-sept pays membres pour prendre des décisions et voter les textes au parlement européen. Mais parallèlement à l’approche de ces élections, une tendance politique s’impose de plus en plus et prend de la place dans les médias : la montée en puissance de l’extrême droite en Europe. Entre la victoire électorale italienne en 2022 de Georgia Meloni du parti politique post-fasciste ou, plus récemment, la montée en puissance de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), parti d’extrême droite, l’Europe fait face à la montée d’un mouvement nationaliste qui influencera certainement les résultats des élections européennes. Tandis que le paysage politique se transforme en Europe, des questions se posent : d’où vient cette popularité de l’extrême droite en Europe et comment s’est elle imposée au fil des décennies ?

Les extrêmes droites en Europe

Officiellement, deux pays de l’Union Européenne sont gouvernés par l’extrême droite : l’Italie et la Hongrie. La Finlande et la Slovaquie ont chacun un gouvernement composé de membres aux idéologies nationalistes proches de l’extrême droite, et la Suède reçoit le soutien idéologique du parti populiste. Néanmoins, comprendre quels sont les pays gouvernés ou influencés par l’extrême droite se révèle être plus complexe. Certains gouvernements de la droite classique décident de faire une coalition avec l’extrême droite, comme l’Autriche avec l’association entre le Parti de la liberté (ÖFP) et le Parti populaire (ÖVP). Aux Pays-Bas, une collaboration est en cours entre l’extrême droite de Geert Wilders (PVV) qui a remporté les législatives du pays et le président du Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) de Mark Rutte. D’autres pays comme la France voient la droite centriste au pouvoir prendre des décisions propres aux idées politiques de l’extrême droite. L’académicienne et spécialiste des politiques européennes et migratoires à McGill, Terri E. Givens, explique que ce rapprochement entre la droite classique et l’extrême droite n’est pas un phénomène récent : dès les années 2000, l’ancien président de la république française Nicolas Sarkozy adoptait déjà des discours d’extrême droite et « ce phénomène s’expliquait par le fait que Nicolas Sarkozy redoutait la popularité croissante de l’extrême droite en vu des futures élections présidentielles (tdlr) ». Plus récemment, le président français Emmanuel Macron et son projet de loi sur l’immigration confirmait une influence claire de l’extrême droite. Ces idées nationalistes deviennent un outil politique pour le gouvernement en place afin de rester au pouvoir tout en empêchant le parti extrémiste de gagner du terrain. Mais selon professeure Givens, il ne s’agit pas d’un phénomène propre à l’Europe : Bill Clinton, ancien président des États-Unis, adoptait cette même tactique politique en limitant aux migrants l’accès aux allocations. Or, cette approche peut se révéler contradictoire : l’académicienne de McGill explique que si un gouvernement centriste met en place des politiques extrémistes pour garder ses électeurs, cela ne garantit pas que ces derniers soutiendront le gouvernement. En effet, si le ministère actuel suggère des propositions de lois extrémistes, pourquoi ne pas directement voter pour le parti qui affirmait depuis le début ces idéologies ?

« Afin de mobiliser tout un groupe de manière homogène, l’extrême droite utilise la crise migratoire afin d’instrumentaliser la peur de la population. Le migrant devient alors le bouc émissaire qu’il faut expulser pour retrouver contrôle et prospérité dans le pays »

L’importance du discours

Selon Michael Minkenberg, professeur de science politique à l’université européenne de Viadrina, les partis populistes de chaque pays partagent un socle idéologique commun basé sur le nationalisme et le désir utopique d’une société homogène. En parallèle, les pays européens connaissent simultanément les crises économiques, migratoires et sociales que chacun cherche à contrôler en fonction de sa politique nationale. L’accumulation de ces crises est propice à l’inquiétude partagée par la population qui se sent alors ignorée par le gouvernement en place. Les différences de salaire entre le travailleur et le PDG, et l’émergence et croissance d’une classe sociale ultra-riche creuse le fossé des inégalités sociales et contribue à la frustration de la population. Entre l’inflation et le déclin du secteur industriel, le chômage accroît et la peur s’installe. Si le gouvernement n’écoute pas les demandes du peuple, il apparaîtra déconnecté de la réalité et la population cherchera confort autre part. C’est dans ce contexte que l’extrême droite gagne en crédibilité. Elle s’impose comme la solution à ces crises à travers des discours populistes et elle crée un lien entre crise économique et migration. Ces discours sont pleins de promesses et de solutions faciles face à des difficultés économiques et sociales. Le mot d’ordre des extrémistes est le « contrôle », que le gouvernement est incapable de mettre en place face aux écarts de salaires et la crise migratoire. La population est alors prête à accepter ces discours souvent discriminants qui promettent un renouveau économique, car les électeurs sont désespérés par la crise qui pèse sur leur quotidien. Si nous prenons l’exemple des Pays-Bas, ces derniers ont connu en juillet 2023 un taux d’inflation de 5,3% selon un sondage mené par Eurostat. Dans son discours après sa victoire aux élections législatives de novembre 2023, Geert Wilders promet que « les gens auront de nouveau de l’argent dans leur porte monnaie » en combattant « le tsunami de l’asile et de l’immigration ». Le message est clair : le migrant est la cible première pour combattre les inégalités sociales. 

Une politique basée sur l’exclusion

L’extrême droite cherche souvent cherche aussi à exclure l’Union Européenne à travers ses politiques. Par exemple, le candidat français du Rassemblement National (RN) aux européennes Jordan Bardella décrivait l’agence européenne de garde-frontières Frontex comme « une hôtesse d’accueil pour migrants ». En effet, les partis nationalistes refusent de déléguer leur souveraineté à l’Union Européenne en termes de frontières. Les pays extrémistes ont une seule priorité : remettre la souveraineté nationale au premier plan. Cependant, afin de mobiliser tout un groupe de manière homogène, l’extrême droite utilise la crise migratoire afin d’instrumentaliser la peur de la population. Le migrant devient alors le bouc émissaire qu’il faut expulser pour retrouver contrôle et prospérité dans le pays. « Tout le monde est pour le contrôle de l’immigration, que ce soit la gauche ou la droite précise professeur Givens, cependant, il y a une différence avec la gauche qui cherchera a être pro-intégration et contre la discrimination ».

Clément Veysset | Le Délit

D’où vient cette « logique » discriminatoire ?

Le fait de percevoir la crise migratoire comme la cause de la crise économique n’est pas un phénomène récent, et encore moins le fait d’exclure une minorité pour affirmer un nationalisme. Dans le livre La Politique du Voile, Joan Scott explique la manière dont la défaite coloniale de la France en Algérie en 1962 a contribué aux politiques racistes envers la communauté musulmane immigrant en France les décennies suivantes. La création du parti Front National en 1972 fait écho à cette problématique mais s’inscrit aussi dans la récession économique de cette époque. En 1978, le parti adopte le slogan « Trois millions de chômeurs, ce sont trois millions d’immigrés de trop ! – La France et les Français d’abord ! », faisant un lien direct entre crise économique et migratoire. Par la suite, la crise migratoire de 2015 accentue l’hostilité envers les migrants et certains pays comme l’Allemagne, pourtant en capacité d’accueillir, se voient rejeter les demandes d’asile car aucun des autres pays de l’Union Européenne n’accepte de coopérer. Ce manque de solidarité entre pays va renforcer le sentiment nationaliste et eurosceptique, car il donne raison à l’extrême droite en termes « d’ingérence » de la part de l’Union Européenne.

Les responsables de la montée populiste

Selon professeure Givens, « Il s’agit de la faute de tout le monde », surtout les gouvernements actuels qui n’accordent pas assez d’importance aux inquiétudes sociales et économiques de la population. L’Union Européenne peut aussi être pointée du doigt : en 2015, l’Italie, mais aussi la Grèce, sont les pays qui ont accueilli le plus de migrants car géographiquement situés sur des points stratégiques entre l’île de Lampedusa et l’île de Lesvos respectivement. Selon les données de Frontex, l’Italie a accueilli 157 220 migrants de janvier à novembre 2015 et selon l’Agence des Nation Unies pour les réfugiés (HCR), la Grèce en a accueilli 50 000 au cours du mois de juillet seulement. Pourtant, les autres pays membres de l’Union fermaient leurs frontières au même moment, laissant la Grèce et l’Italie isolées durant cette crise. Cela laisse alors la place au développement de l’euroscepticisme et l’extrême droite gagne en crédibilité en pleine crise. 

« L’Union Européenne est lâche, beaucoup d’académiciens, moi comprise, sommes frustrés face à la manière dont l’Europe reste passive quant aux transgressions récurrentes de la Hongrie »

Terri E. Givens, professeure de science politique spécialiste de l’immigration

L’extrême droite dans l’Union Européenne

L’extrême droite apparaît comme hétérogène et s’affiche sous différents groupes politiques de l’Union. Par exemple, le parti post-fasciste d’Italie et le parti extrémiste polonais PiS sont membres du groupe Conservateurs et Réformistes Européens (CRE) avec les élus du parti Finlandais tandis que le RN en France se retrouve sous la même branche politique que les euro députés néerlandais au sein du groupe Identité et Démocratie (ID). Le Parti Populaire (PPE) est majoritaire au parlement européen avec 177 euro députés des 27 pays membres et est composé de partis de la droite centriste comme de la droite extrémiste. Par exemple, le président de la Hongrie illibérale Viktor Órban en faisait partie jusqu’en 2021. La Hongrie est la représentation même de la contradiction européenne entre les institutions libérales et le régime autoritaire illibéral hongrois ; les Reporters sans Frontières sont alarmés face à la manière dont la liberté d’expression se dégrade dans ce pays. « L’Union Européenne est lâche », confie Givens, « beaucoup d’académiciens, moi comprise, sommes frustrés face à la manière dont l’Europe reste passive quant aux transgressions récurrentes de la Hongrie ». En effet, malgré quelques sanctions de la part de la commission européenne, les vétos constants posés par le régime autoritaire contre les aides en Ukraine posent problème et empêchent l’Union Européenne d’agir. Toutefois, ce manque de pénalités est justifié par la peur partagée de voir la Hongrie partir de l’Union pour se retrouver sous influence russe selon professeure Givens. Parallèlement, la Commission européenne doit aussi faire face à la montée en puissance de partis pro-russes d’extrême droite en Autriche avec le FPÖ et en Slovaquie avec le parti Smer au pouvoir.

De plus, l’extrême droite empêche le parlement européen d’adopter certains textes en imposant sa politique climatosceptique : l’Union Européenne recule sur la question environnementale, notamment avec le rejet du texte sur l’arrêt de l’usage des pesticides. Patrick Martin-Genier, politologue spécialiste dans la politique en Europe, parle d’un « arrêt de la construction européenne » impacté par l’hétérogénéité des groupes politiques et des penchants extrémistes. Cette appellation est justifiée par le fait que le dernier traité à être entré en vigueur au sein de l’Union est le traité de Lisbonne, en 2009. Cependant, professeure Givens perçoit de manière positive le mélange hétérogène des partis au sein des groupes politiques : « c’est aussi une bonne nouvelle car cela permet de faire des compromis et de trouver des accords avec d’autres partis qui ne sont pas extrémistes ». Elle souligne que la droite centriste peut influencer l’extrême droite sur des décisions moins radicales mais souvent, c’est la droite classique qui se laisse influencer par les nationalistes au sein de ces groupes. 

« La droite centriste peut influencer l’extrême droite sur des décisions moins radicales mais souvent, c’est la droite classique qui se laisse influencer par les nationalistes au sein de ces groupes »

La « vague » européenne d’extrême droite

Pour professeure Givens, plutôt que d’appeler le phénomène actuel une « vague », nous ferions mieux de parler de « hauts et bas ». Finalement, certains pays anciennement extrémistes connaissent actuellement une politique plus centriste. En Pologne, le parti d’extrême droite du PiS, au pouvoir depuis 2015 fait face à une opposition majoritaire pro-centriste. Au Danemark, le nouveau gouvernement de Mette Frederiksen est partagé entre libéraux et sociaux-démocrates alors que l’extrême droite était longtemps en position de force. Pour ce qui concerne les actuelles craintes d’une montée du parti de l’AfD en Allemagne, les médias parlent de plus en plus d’une opposition de la part des citoyens allemands qui protestent contre les politiques extrémistes du parti. Ces échecs nationalistes peuvent se justifier par le fait qu’au pouvoir, les partis d’extrême droite ne répondent pas aux promesses formées dans leurs discours et les problèmes économiques ne sont pas réglés. En Italie par exemple, l’une des premières mesures de Giorgia Meloni était la suppression du revenu sur la citoyenneté, l’équivalent de l’aide sociale, pour une partie de la population. Cela illustre le fait que ces partis ne proposent finalement pas une politique sociale et la population finit par s’en rendre compte. Certains diront aussi que la montée de l‘extrême droite n’est pas significative et qu’il s’agit seulement d’un vote contestataire contre le gouvernement actuel. Cependant, le sociologue Wilhelm Heitmeyer souligne que cet argument n’est plus valable puisque d’année en année, les partis nationalistes gagnent un électorat de plus en plus fidèle et croissant.

Les prochaines élections européennes

Cet article a aussi pour but de comprendre l’enjeu existant à l’approche des élections européennes. Professeure Givens explique que « l’extrême droite va certainement s’imposer aux européennes, surtout parce que les voteurs ne portent pas assez d’attention aux élections parlementaires et ne sont pas renseignés sur son mode de fonctionnement ». Ce phénomène peut s’expliquer par le fait que les élections européennes ne seront jamais autant médiatisées que des élections présidentielles par exemple. Pourtant, elles sont toutes aussi importantes et les résultats des prochaines élections changera forcément les tendances politiques d’une manière ou d’une autre. Mettre en lumière l’enjeu de ces élections est alors primordial tant à l’échelle européenne qu’internationale, dans un contexte complexe de tensions et de guerres. 


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